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[Mécénat coll. en régions] Fondations territoriales, quelles réalités ?
Expertise
La Fondation territoriale, de la théorie à la pratique
Le terme « fondation territoriale » n’est pas encadré juridiquement et n’a donc pas de définition légale. Pour autant le Centre Français des Fondations a tenté d’en définir les contours : « La fondation territoriale n’agit pas en faveur d’une cause mais sur tous les champs de l’intérêt général au sein d’un territoire, elle se place ainsi comme catalyseur pour rassembler les différents acteurs d’un territoire (entreprises, associations, collectivités locales, donateurs, citoyens, etc.) autour d’un intérêt commun : le développement de leur territoire. »
Objet mouvant, ses caractéristiques principales évoluent régulièrement. Dans l’ouvrage de 2013 « Fondations territoriales pour une philanthropie de proximité » le CFF distinguait 4 caractéristiques principales : un ancrage territorial, une capacité à intervenir sur toutes les causes d’intérêt général, un engagement collectif et une capacité distributive (dons, prix, aides, bourses…).
Plus récemment, les grandes caractéristiques de la fondation territoriale ont été redéfinies.
Celle-ci : agit de manière territoriale et non thématisée, dote les citoyens d’un territoire avec les moyens d’agir, développe une cohésion territoriale, participe à construire un capital social, évalue les causes ou publics prioritaires et acquiert un rôle de représentation du territoire.
Héritage des Community Foundations, apparues aux Etats Unis en 1914 avec la Cleveland Foundation, les Fondations territoriales sont une adaptation à la française de ces organisations philanthropiques créées par des communautés d’habitants.
Dans la pratique, difficile d’y voir clair tant les types de Fondations territoriales françaises sont multiples.
Tout d’abord elles peuvent prendre des statuts juridiques très variés : fondation d’entreprise, fondation abritée, fondation reconnue d’utilité publique, fonds de dotation … chaque statut ayant ses avantages et ses inconvénients.[1] Par ailleurs, on constate que peu de fondations dites territoriales collent à la définition du CFF. Sensées être généralistes, il s’avère que nombreuses sont celles qui choisissent de privilégier un domaine d’intervention plutôt qu’un autre. Par ailleurs, les membres constitutifs de ces fondations territoriales sont très variés. Très peu d’entres elles regroupent effectivement toutes les forces vives d’un territoire : entreprises, associations, collectivités locales, donateurs, citoyens.
Derrière l’appellation « fondation territoriale » on constate donc une grande souplesse, ce qui a favorisé leur développement. Multiples et insaisissables, ces fondations territoriales témoignent d’une volonté grandissante de « faire ensemble au service de son territoire » et constituent de véritables observatoires des besoins locaux et des « apporteurs de solutions » concrètes.
« J’ai deux bonnes raisons pour défendre l’idée des Fondations Territoriales : la nécessité d’innovations financières pour financer des projets non lucratifs dans un contexte de finances publiques sous contrainte; l’entrée dans l’ère des économies de proximité, qui complètent ou corrigent la mondialisation. »
Hugues SIBILLE, Président du labo de l’ESS et de la Fondation Crédit Coopératif.
Focus sur quelques exemples concrets
La Fondation de Lille : l’héritage des community foundations
La Fondation de Lille est un cas d’école dans le paysage des fondations territoriales. Depuis 30 ans, elle permet de soutenir ou mener des actions citoyennes et solidaires. En effet, elle est la première fondation territoriale reconnue d’utilité publique en 1997. Créée en 1988, à l’initiative de Pierre Mauroy, ancien premier ministre, celui-ci souhaitait doter Lille « d’un outil juridique au service de ses habitants et de toutes les bonnes volontés souhaitant mettre en œuvre des actions de solidarités à Lille et sur le territoire de la région Nord Pas de Calais». La Fondation de Lille se présente comme « un trait d’union entre les donateurs, les mécènes, les collectivités locales et les acteurs de terrain pour financer de manière efficace des projets. » Elle a également pour but de développer l’esprit philanthropique dans la région Hauts-de-France. Elle est d’ailleurs devenue fondation abritante depuis 2008, favorisant le développement de fondations d’individus ou d’entreprises sous son égide.
Quand les réseaux d’entreprises prennent le lead : l’exemple de la fondation Mécènes&Loire
Pas toujours facile d’impliquer citoyens, personnes publiques et entreprises privées. Certaines fondations territoriales ont donc fait le choix de se recentrer sur un noyau dur d’entreprises qui agissent au service de l’intérêt commun sur leur territoire. C’est le cas de la Fondation d’entreprise Mécènes&Loire, dont la 3e édition [DA1] devrait voir le jour en septembre 2018. Lancée en 2007 à l’initiative de la CCI Maine et Loire, elle est l’exemple type d’une fondation territoriale qui a réussi à fédérer un réseau d’une trentaine de PME locales au service de son territoire le Maine et Loire. Depuis sa création, grâce à un budget annuel de 200 000 euros, elle a soutenu une vingtaine de projets par an en moyenne, principalement dans les secteurs de l’enfance, de la jeunesse, l’art et la culture ainsi que le social.
« L’impact de notre fondation sur le territoire est fort surtout que la CCI 49 nous a confié le volet promotion du mécénat. Nous avons donc organisé déjà 4 rencontres devenues régionales qui ont tout de suite trouvé leur public (400 personnes à chaque édition). En tant que précurseurs sur notre territoire, nous avons eu de nombreuses réponses à nos appels à projets. 91 dossiers déposés dès la première année (118 au maximum ensuite). Mécène et Loire est aussi devenu une sorte de Label qui permet ensuite d’obtenir d’autres financements. » - Stéphane Martinez, Président de la fondation.
Les collectivités à la manœuvre : l’exemple de Bordeaux Mécènes Solidaires
Dans certains cas, le projet de Fondation territoriale est porté d’abord par une collectivité, qui souhaite rassembler divers acteurs du territoire pour fédérer les bonnes volontés au service de l’intérêt général. C’est le cas de la Fondation Bordeaux Mécènes Solidaire créée début 2013 à l’initiative d’Alain Juppé, Maire de Bordeaux avec le Centre Communal d’Action Sociale et le Crédit Municipal de Bordeaux. Elle permet aux entreprises et citoyens de participer collectivement à lutter contre les précarités et favoriser le vivre ensemble en soutenant l’innovation sociale sur le territoire. Sa gouvernance est partagée entre acteurs publics, privés et société civile. Elle observe les besoins et ressources du territoire, identifie les projets et problématiques, les instruit et les propose à l’accompagnement et au financement de ses mécènes. Ce sont plus de 25 projets qui sont ainsi soutenus et accompagnés chaque année.
« Le mécénat collectif est un levier puissant pour agir sur son territoire. Il permet de mutualiser des fonds, mais aussi des expertises, des réseaux, des actions pour agir efficacement. Il permet de coordonner la volonté et l’engagement d’entreprises autour d’enjeux identifiés collectivement comme prioritaires », livrait Stéphanie Ioan dans une interview pour Le Mag Admical.
La Fondation Passion Alsace met la société civile au cœur de son projet
La Fondation Passion Alsace est pensée comme un trait d’union entre les donateurs privés et les porteurs de projets de l’(ex) région Alsace. Elle épaule ainsi les actions d’intérêt général (tous secteurs confondus) menées dans la région ou les actions portées par des associations alsaciennes en dehors de l’Alsace. Fonctionnant comme une véritable plateforme de mise en réseau, elle sélectionne selon une procédure spécifique et un cahier des charges précis les initiatives qu’elle juge particulièrement intéressantes, permettant ainsi aux donateurs (entreprises et particuliers) de les soutenir.
Par son action, la Fondation souhaite favoriser le lien entre les donateurs et les associations locales qui constituent le ciment de la société et font vivre le territoire.
Côté gouvernance, elle n’est gérée que par des membres de la société civile et écarte les élus locaux des postes à responsabilités pour éviter tout conflit d’intérêt.
Et demain, quelles perspectives ?
Face à la restriction des ressources des collectivités locales, il est très probable que ce type d’initiatives continue de fleurir sur les territoires. Grâce au vide juridique qui encadre à ce jour la pratique, les formats existants seront amenés à se dupliquer et d’autres verront probablement le jour afin de satisfaire encore plus les besoins des territoires.
Témoignage d’une volonté de « faire sa part » pour la société et d’une tendance indéniable à jouer collectif, ces fondations territoriales sont une belle preuve des actions concrètes qui peuvent voir le jour partout en France.
Pour autant, face à ce foisonnement des acteurs du mécénat en région, on peut se poser une question légitime : comment coordonner au mieux les forces en présence pour répondre de façon efficiente aux besoins du territoire ? La constitution de pôles mécénat à l’échelle régionale pourrait être un début de réponse. Cependant, les Pays-de-la-Loire, exemple type en la matière, sont à ce jour la seule région à bénéficier activement d’une telle structure.
Marion Baudin
Pour en savoir plus, retrouvez les autres articles de notre dossier [Mécénat collectif en région]
> « Mécénat des collectivités : un nouveau souffle pour le développement territorial », par Léa Morgant
> « Pôles mécénat en région, où en est-on ? », par Marion Baudin