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Quels liens le crowdfunding entretient-il avec le mécénat ?
Expertise
Les ingrédients du succès
C’est la magie du Web 2.0 qui a permis la croissance remarquable – et remarquée – du financement participatif et qui conduit à cette métonymie : dans le vocabulaire courant, crowdfunding évoque moins la pratique, le financement populaire, que l’outil : la plateforme Internet.
Le début du règne des plateformes spécialisées marque l’avènement du crowdfunding tel que nous le pensons désormais. Pour Vincent Ricordeau, co-fondateur et président de KissKissBankBank, la plateforme a trois principaux atouts : elle donne visibilité et crédibilité au projet ; elle agit comme « facilitateur de collecte » ; prolongement technique des réseaux sociaux, elle démultiplie la communauté susceptible de s’intéresser au projet.
Une analyse que partage Olivier Ibañez, conseiller mécénat-partenariats au Centre des Monuments Nationaux. Il a piloté plusieurs campagnes réussies, en partenariat avec My Major Company. Selon lui, la véritable valeur ajoutée de l’opération a été le gain de visibilité – surtout auprès d’un nouveau public, plus jeune et moins familier de ce type d’institutions qui cherchent à « dépoussiérer » leur image.
Et le contexte économique et social dans tout cela ? La crise a un double rôle dans l’accélération du phénomène. D’abord, parce que la difficulté à trouver des financements traditionnels nécessite de repenser les modèles économiques. Ensuite, car elle favorise le recentrage sur des valeurs de partage et de solidarité.
A l’échelle individuelle, le contributeur, désormais investi d’un pouvoir « démiurgique », partage avec la communauté réunie autour du projet la fierté de le voir réalisé.
Crowdfunding et mécénat : même combat ?
« Tous mécènes », « micro-mécènes », « don pour don »… le vocabulaire du crowdfunding emprunte beaucoup à celui du mécénat. Les deux notions ne sont cependant pas toujours assimilables.
D’abord parce que les projets soutenus ne répondent pas tous, loin de là, à un critère essentiel : la contribution à l’intérêt général. Vincent Ricordeau, confirme que cet aspect n’est pas un critère de choix des projets pour KissKissBankBank. Ensuite, car la philosophie et le business model des plateformes les mieux installées sont mal adaptés au mécénat - notamment le système de commissions[1] et la règle du « tout ou rien »[2].
La « sur-viralisation », le choix des mots, l’accent excessif qui est mis sur les contreparties,… peuvent produire un véritable choc des cultures. Il serait pourtant bien dommage de se priver de ce bel élan.
Des dynamiques ont déjà émergé pour le mécénat participatif :
- l'émergence de plateformes dédiées aux projets d’intérêt général, et donc au modèle économique plus adapté. Elles sont généralistes, comme HelloAsso ou United Donations, ou spécialisées, comme Davincicrowd qui soutient la recherche et l’enseignement supérieur ;
- la création par les porteurs de projets d’envergure, le musée du Louvre par exemple, de leurs propres plateformes ;
- l’intégration du crowdfunding dans la politique de mécénat des entreprises, dont témoigne le projet « Partager.Protéger.» d’AXA en partenariat avec My Major Company.
Quel cadre pour le crowdfunding appliqué au mécénat ?
La collecte de dons sur Internet doit respecter le cadre habituel du mécénat : limitation des contreparties, éligibilité au don... La plateforme est transparente fiscalement entre le donateur et le bénéficiaire qui signera donc le reçu de don.
Lorsqu’un organisme sans but lucratif a recours à l’une de ces plateformes pour un appel aux dons, il est soumis aux obligations de déclaration et d’information qui régissent les appels à la générosité publique. Selon Daniel Bruneau, directeur de la recherche de fonds et de la communication pour Les Petits Frères des Pauvres, les plateformes devraient, elles-aussi, respecter ces obligations. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Selon les modalités de financement retenues, la plateforme de crowdfunding ou le porteur de projet peut par ailleurs être soumis au respect de la réglementation bancaire et financière. L’Autorité des Marchés Financiers et l’Autorité de Contrôle Prudentiel ont publié début 2013 un guide des règles à suivre mais les textes existants restent très inadaptés à ces microstructures. Le projet de loi de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises en discussion au Parlement devrait apporter certaines améliorations.
Hannah Berkouk & Chloé Baunard-Pinel
[1] Les commissions peuvent aller de 5 à 12% du montant récolté.
[2] Les contributeurs sont remboursés si l’objectif de collecte n’est pas atteint.
Article initialement publié dans la revue Mécènes n°4, décembre 2013