Focus spécial : Union Européenne & financement des ONG

1 - Bref rappel des institutions européennes et de leur rôle
Pour mémoire, il existe 7 institutions européennes, que l’on peut regrouper sous 3 catégories :
- Institutions politiques : la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne (ces trois formant le « triangle institutionnel) et le Conseil européen.
- Institution juridictionnelle : la Cour de justice de l’Union européenne
- Institutions financières : la Banque centrale Européenne et la Cour des comptes européenne
Chaque institution dispose d’une organisation propre et de missions clefs :
- Le Conseil européen (Bruxelles) : composé des chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres, définit les grandes orientations et priorités politiques de l’UE.
- La Commission européenne (Bruxelles) : composée de commissaires (1 par Etat, sur proposition de celui-ci et approuvé par les députés européens), détient seule l’initiative législative. La Commission propose les lois, met en œuvre les politiques et élabore le budget de l’UE. Elle est garante de l’intérêt général européen.
- Le Parlement européen (Strasbourg) : représente les citoyens européens au travers de députés élus au suffrage universel direct. Il amende et vote les textes proposés par la Commission, ainsi que le budget.
- Le Conseil de l’Union européenne (Bruxelles) : composé des ministres de chaque Etat membre, il représente et défend les intérêts des Etats membres et non l’intérêt général de l’Union. Aux côtés du parlement européen, le Conseil de l’UE vote et adopte les textes proposés par la Commission.
- La Cour de justice de l’Union européenne (Luxembourg) : assure le respect du droit communautaire tant dans son interprétation que son application.
- La Cour des comptes européenne (Luxembourg) : contrôle la perception et utilisation des fonds de l’UE et rapporte les soupçons de fraude et corruption à l’Office européen de lutte antifraude. Cette institution est indépendante et dépourvue de pouvoir juridique.
- La Banque centrale européenne (Francfort) : gère la monnaie unique européenne et sa stabilité, mène les politiques économiques et monétaires de l’Union.
Source : https://www.strasbourg-europe.eu/les-institutions-de-lunion-europeenne/
- Un premier audit a été réalisé en 2018 « Mise en œuvre de fonds de l’UE par des ONG : des efforts supplémentaires sont nécessaires pour plus de transparence »
- Un deuxième audit a été réalisé en 2025 « Transparence des financements accordés par l’Union européenne à des ONG : Malgré des progrès, la vue d’ensemble n’est toujours pas fiable ». Le rapport d’audit a été adopté fin février, la Commission européenne y a répondu fin mars.
- Une question prioritaire a été déposée en avril par une député européenne (extrême-droite) adressée à la Commission européenne, sollicitant des éclaircissements sur les suites à apporter au rapport de la Cour des comptes européenne, notamment les ONG liées à des activités politiques et immigration irrégulières. La Commission européenne y a répondu fin juin en reprenant les éléments contenus dans les réponses au rapport.
Place au décryptage !
Quels sont les constats du rapport de la Cour des comptes européenne ?
Lien vers le rapport ici.
- Montant total des subventions allouées aux ONG
Au cours de la période contrôlée (2021-2023) la Commission a engagé environ 4,8 milliards € en subventions à des ONG pour les politiques internes, et les États membres 2,6 milliards € (FSE+ et FAMI) – soit 7,4 milliards € au total pour les ONG.
- Transparence globalement insuffisante
Le rapport constate qu’« en l’absence de vue d’ensemble fiable », les financements versés aux ONG restent peu lisibles. Les informations sont dispersées entre plusieurs bases de données et sites (gestion directe, indirecte, partagée), sans consolidation unique jusqu’à la mise en place du portail unique imposé par le nouveau règlement (après 2027). Cette fragmentation entrave l’analyse de la concentration des fonds : par exemple, en gestion directe, 30 ONG ont perçu plus de 40 % du total sur 2014‑2023, ce qui illustre des concentrations fortes.
- Définition des ONG
Les auditeurs ont relevé une interprétation non uniforme de ce qui constitue une « ONG ». La base de données de transparence financière classe les bénéficiaires de premier niveau comme ONG sur simple déclaration sur l’honneur. Or, la Commission ne vérifierait pas certains critères clés (indépendance des pouvoirs publics, absence d’objectifs commerciaux chez les associés). En pratique, certains organismes de statut privé sont classés à tort ONG faute de contrôle approfondi. La définition du règlement financier 2024 ne corrige pas totalement cette incertitude opérationnelle.
- Qualité des données financières
La Commission a amélioré ses systèmes (registre commun des demandes), mais des faiblesses subsistent. Les mises à jour sont peu fréquentes, et seuls les engagements aux premiers bénéficiaires sont publiés, omettant les sous-traitants ou associations en cascades, ce qui réduit la comparabilité et l’exhaustivité. De plus, les États membres ne publient pas de données consolidées sur le soutien national aux ONG (avant 2028, seules les dotations engagées apparaissent sur leurs sites).
- Respect des obligations de transparence
Sur le plan des procédures, la Commission et les agences ont, pour l’essentiel, respecté les exigences de transparence prévues par le règlement financier et la législation sectorielle (Annexe II du rapport). Les appels à propositions étaient publiés de manière transparente et accessibles au public. En revanche, certaines informations réglementaires n’ont pas été exploitées : par exemple, les conventions de subventions de fonctionnement versées aux ONG (qui financent aussi des actions de sensibilisation) ne contenaient pas de communication claire au public des activités de lobbying ou de sensibilisation financées.
- Respect des valeurs de l’UE
Tous les bénéficiaires doivent contractuellement adhérer aux valeurs de l’UE. L’audit montre cependant que les gestionnaires de fonds ne procèdent pas de vérifications actives : ils se fient à la seule déclaration d’honneur des ONG et n’exploitent pas d’autres sources (ex : examen des sources de financement externes). Aucune procédure n’avait été mise en place pour détecter proactivement un possible non‑respect des valeurs par un bénéficiaire. La Commission dispense néanmoins des sessions de sensibilisation internes aux agents depuis mi-2023, sans toutefois fournir de critères concrets d’évaluation du respect des valeurs.
- Transparence volontaire des ONG
L’étude d’un échantillon de 90 ONG a révélé une grande disparité dans leurs pratiques volontaires de transparence (publication d’informations financières, gouvernance, membres, etc.). Les ONG de grande taille se montrent généralement plus transparents que les petites structures, en partie du fait d’exigences d’accréditation ou de labels privés les incitant à plus de rigueur documentaire.
Quelles sont les recommandations de la Cour des comptes européenne ?
La Cour formule trois recommandations principales, assorties de délais de mise en œuvre :
Recommandation 1 : Clarifier le critère “ONG”. La Commission doit publier des lignes directrices pour harmoniser l’interprétation du terme « ONG » dans tous les modes de gestion. Ces orientations préciseront notamment le concept d’« indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics » (au-delà du seul statut privé) et traiteront le cas d’organisations à but non lucratif servant des intérêts commerciaux. (Échéance : fin 2025).
Recommandation 2 : Améliorer la qualité des données publiées. La Commission doit renforcer l’exhaustivité et la fréquence des mises à jour des informations sur les dépenses de l’UE dans le système de transparence financière. Il s’agit notamment d’intégrer les données des bénéficiaires de second niveau en gestion directe et indirecte, pour accroître la comparabilité des informations budgétaires entre modes de gestion. (Échéance : fin 2029).
Recommandation 3 : Renforcer le contrôle des valeurs européennes. La Commission devrait développer des outils (approche fondée sur les risques) afin de vérifier de manière plus proactive le respect par les bénéficiaires des valeurs de l’Union. Par exemple, il s’agirait d’inclure des contrôles sur la provenance des financements ou sur l’identité des représentants légaux dans l’évaluation des dossiers de candidature. (Échéance : fin 2028).
Quelles réponses ont été apportées par la Commission européenne ?
Retrouvez ici la réponse de la Commission.
La Commission réaffirme son attachement à une société civile pluraliste et à la transparence dans la gestion budgétaire, tout en insistant sur deux éléments clés :
Le statut d’ONG n’est pas en soi un critère d’éligibilité (sauf cas spécifiques).
Il n’existe aucune preuve que les ONG présentent un risque budgétaire supérieur à d'autres bénéficiaires de fonds.
Elle rappelle que le règlement financier 2024 introduit :
Une définition formelle de l’ONG (art. 2, point 49).
L’obligation de déclaration du statut d’ONG dans les demandes de subvention en gestion directe.
La perspective d’un système de transparence financière élargi à tous les modes de gestion à partir de 2028 (art. 38, 277).
S’agissant des recommandations de la Cour, la Commission y répond spécifiquement :
- Recommandation 1 – Orientations sur la qualification « ONG » : Acceptée partiellement
La Commission envisage de clarifier la notion d’« indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics », mais avec prudence, pour éviter d’entraver l’accès aux fonds dans les États membres aux définitions divergentes. Elle refuse d’unifier les définitions dans tous les modes de gestion, invoquant ses limites de compétence sur la gestion partagée et indirecte. Elle refuse d’exiger systématiquement des preuves documentaires, pour ne pas accroître la charge administrative.
Mise en œuvre : à examiner d’ici fin 2025.
- Recommandation 2 – Améliorer les données du système de transparence : Acceptée partiellement
La Commission envisage une augmentation de la fréquence de mise à jour du système de transparence (STF) , mais rejette l’intégration systématique des destinataires de second niveau en gestion directe, arguant de l’absence de lien contractuel avec la Commission et du fardeau administratif supplémentaire.
En gestion indirecte, les données sur les destinataires secondaires seront publiées seulement à partir du cadre post-2027, si disponibles via l’outil Arachne (art. 36 §2 d)).
Mise en œuvre : potentielle amélioration progressive d’ici fin 2029.
- Recommandation 3 – Vérification du respect des valeurs de l’UE : Acceptée pleinement
La Commission s’appuie pour l’instant sur des déclarations sur l’honneur et des contrôles ex ante via le système EDES (détection/exclusion). Elle reconnaît que les outils actuels (comme Arachne) ne sont pas conçus pour détecter des violations des valeurs (concept trop large, données peu fiables). Elle est prête à étudier l’ajout d’indicateurs de risque liés aux valeurs, sous conditions (faisabilité technique, conformité RGPD, qualité des données).
Étude de faisabilité conditionnée à l’évaluation d’Arachne attendue fin 2027 ; décision sur l’intégration potentielle d’ici fin 2028.
S’agissant des observations de la Cour, la Commission revient spécifiquement sur trois points :
Activités de sensibilisation financées par subvention
La Commission rappelle que les subventions de fonctionnement peuvent couvrir des activités de sensibilisation si elles sont annexées aux conventions.
En mai 2024, elle a publié une note interne de vigilance, demandant une évaluation du risque réputationnel lié aux activités ciblant des institutions de l’UE. Les plans de travail doivent désormais être examinés sous cet angle.
Divulgation des activités de sensibilisation
Elle reconnaît qu’il n’existe aucune obligation légale de publier le détail des actions de sensibilisation. Toutefois, elle s’engage à partager proactivement les objectifs et résultats des projets. Elle rappelle que les ONG inscrites au registre de transparence doivent
déclarer leurs activités de lobbying, ainsi que toute contribution ≥ 10 000 € représentant >10 % de leur budget annuel.
- Respect des valeurs de l’UE
La Commission rappelle que l’article 138 du règlement financier interdit toute violation des valeurs de l’UE (discrimination, haine, corruption, terrorisme…). Des mesures administratives peuvent être prises en cas de comportement abusif, selon la procédure prévue à l’article 142 du règlement financier.
L’œil d’Admical : Ce rapport de la Cour des comptes européenne apporte une analyse ciblée et fondée sur des éléments méthodologiques et juridiques. La réponse de la Commission s’inscrit également dans cette lignée.
En revanche, dans un contexte où certains parlementaires européens, notamment d’extrême droite (cf. question prioritaire précitée), exploitent ce type de rapports pour susciter un « choc de défiance » envers les ONG, il est essentiel de maintenir un équilibre juridique entre transparence effective et protection du pluralisme de la société civile.
Il s’agit de distinguer les constats documentés institutionnel (renforçant la qualité de l’action publique européenne) des usages politiques menaçant tout simplement l’espace civique européen !
Pour une tribune co-signée par plus de 500 organisations de l’Union européenne « Unprecedented Attacks on NGOs in the EU - We Call on All Democratic Forces To Act for a Strong and Independent Civil Society Civil Society Statement” : https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2025/04/ngo_funding_statem...
Pour approfondir : une série d’articles « Spotlight on civic space », publiés par l’EFA (European Fundraising Association)