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[DOSSIER] ENJEUX DE L'EVALUATION DE L'IMPACT - Art.1 Vers une culture de l'évaluation, quels enjeux pour les mécènes ?

Expertise

Ricardo Scaccheti, président-fondateur d'Impact Track et Noémie Garrot, co-fondatrice
Dans un contexte où les entreprises de l'ESS et les structures philanthropiques ne cessent de se professionnaliser, la question de l'évaluation de l'impact social n'a jamais été aussi importante. Mais si certains mènent depuis plusieurs années déjà des études d'impact, il reste difficile pour la majorité des mécènes d'en mesurer les enjeux et d'intégrer cette pratique dans un plan d'action global. Pour mieux s'approprier la démarche, Admical s'associe à l'agence Impact Track et vous propose un dossier spécial consacré au sujet.

Depuis quelques années, l’évaluation de l'impact social est au cœur des préoccupations et des réflexions des acteurs de l’ESS.

C’est ce que nous apprenait le désormais bien connu Baromètre de la mesure d’impact social réalisé par KPMG : en 2018 plus de 50% des organisations sociales menaient déjà des démarches de mesure d’impact contre environ 40 % en 2017. 25% envisageaient également de mettre en place des actions concrètes d’évaluation.

Si les grands objectifs des mécènes et porteurs de projet convergent (prouver leur spécificité, valoriser leurs résultats, améliorer leurs actions pour plus d’utilité sociale), l’évaluation d’impact revêt une réalité très différente d’une structure à l’autre. Que ce soit en termes de méthodologie, d’outils ou même d’appropriation.

Nous proposons dans ce dossier de décrypter les enjeux de la diffusion d’une culture de l’évaluation des résultats et de l’impact au niveau du secteur puis réfléchirons aux façons de concilier les intérêts des mécènes et de leurs porteurs de projets, pour une mesure d’impact bénéfique et utile à tous.

 

A. Vers une culture de l'évaluation

Le besoin d’aller au-delà des rapports d’activité (qui font état des moyens mis en œuvre voire des réalisations) pour rendre compte de l’impact réel des projets d’utilité sociale sur le terrain est de plus en plus partagé. En effet, la mise en place d’une action ne garantit pas son résultat. Une même action peut d’ailleurs avoir un résultat différent d’une personne à l’autre. D’où l’intérêt de consulter les parties prenantes pour rendre compte du changement vécu.

Il n’est donc pas surprenant que la professionnalisation du secteur de l’ESS et de la philanthropie ait « entraîné une forte croissance des demandes de mesures d’impact de la part des porteurs de projets mais aussi des financeurs » comme le témoigne Elise Leclerc, Directrice du Labo Evaluation et Mesure d’Impact de l’ESSEC[1]. D’ailleurs, les programmes d’aide à la mise en place de démarches de mesure d’impact se développent, à l’image du programme Size Up des incubateurs Antropia-Essec et Ronalpia, ou encore le programme Cap Impact de l’Avise.

Du côté des mécènes 3 objectifs principaux sont recherchés :

  • Aider les projets à améliorer leurs activités et leur pertinence
  • Rendre des comptes à leurs partenaires et prouver la pertinence de leur stratégie de mécénat
  • Communiquer et valoriser l’impact concret des projets auprès du grand public

Cet intérêt croissant des mécènes pour les données de résultats va de pair avec leur professionnalisation (mise en avant par le Baromètre Admical 2020), mais aussi avec la « porosité croissante » entre philanthropie traditionnelle et venture philanthropy comme l’explique Anne-Claire Pache[2], professeure titulaire au sein de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC.      
La venture philanthropy est une approche inspirée des pratiques d’investissement. En venture philanthropy, le financeur à impact soutient une organisation à vocation sociale plus fortement et dans la durée dans le but de l'aider à maximiser son impact social.« De nombreuses fondations distributives ont repris, parfois de longue date, certaines pratiques de la venture philanthropy, notamment le processus de sélection approfondi, l’engagement dans la durée, ou encore le travail d’évaluation». Une posture partenariale renforcée bien au-delà du seul soutien financier pour faire monter en compétences les organisations – et non uniquement les projets - et construire un secteur social performant.

 

B. Pourtant, évaluer son impact en tant que mécène n'est pas simple

Si on peut dire que l’intérêt et les bénéfices de l’évaluation d’impact font aujourd’hui consensus chez les organisations sociales, celles-ci déclarent se heurter à des difficultés quant à sa mise en place. En cause : la complexité des démarches de mesure d’impact et le coût associé (Baromètre de la mesure d’impact, KPMG, 2018).

Concernant les mécènes l’impact s’évalue à 2 niveaux :

  • Évaluation de l’accompagnement : le résultat de l’accompagnement du mécène auprès des projets soutenus.
  • Évaluation de l’impact : l’impact de ces projets sur les bénéficiaires et parties prenantes finaux. Autrement dit, la contribution des projets financés à la résolution des enjeux clés sur le terrain

 

Focus : à chaque démarche ses objectifs spécifiques

Nous allons nous intéresser de plus près à « l’évaluation de l’impact » des projets qui permet de valider la pertinence des activités du mécène dans la résolution des enjeux sociétaux. Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les mécènes dans cette démarche ?

L’implication des parties prenantes est un des principes clés de la mesure d’impact (principe numéro 1 de Social Value International[3]). Or le financeur n’a pas une relation directe avec les bénéficiaires de ces projets. Le meilleur moyen de les contacter est de s’appuyer sur les associations qui les consulteront. Dans un monde s’orientant vers une posture partenariale, on comprendra que le financeur ne peut pas imposer aux associations sa vision de la collecte de données auprès de bénéficiaires. D’autant plus si les données collectées sont utiles au mécène et non à l’association.

Ensuite, la diversité et les spécificités des projets entraine une multiplication des indicateurs de suivi-évaluation, de la manière de collecter les données, etc…. Du côté des mécènes, cette spécificité complexifie l’analyse et empêche l’agrégation de données de multiples projets. Du côté des porteurs de projets, cette spécificité est essentielle pour représenter les effets du projet et rendre la gestion de l’impact opérationnel. C’est pourquoi le sous-groupe du GECES de la Commission européenne préconise une approche qui permette d’intégrer les spécificités du projet et qui soit utile à sa gestion.

Enfin, financer une démarche d’évaluation externalisée pour chacun des projets soutenus est un coût qui peut s’avérer trop important au regard du montant du soutien financier. En moyenne, le budget alloué à la mesure d’impact devrait représenter entre 2 et 10% de l’enveloppe de financement du projet. Il faut garder un œil sur ce ratio pour que le budget alloué à la mesure d’impact soit suffisant pour permettre une meilleure efficacité du financement sans devenir trop conséquent et représenter une réduction du financement des activités génératrices d’impact.

 

En conclusion, pour construire une démarche d’évaluation réussie, le mécène doit coopérer avec ses partenaires porteurs de projet et pour cela, la première étape semblerait bien être le partage d’un langage commun. Comment concilier les intérêts des associations et financeurs pour répondre aux besoins de pilotage et de suivi de chacun ? Le prochain article abordera ces questions clés pour une démarche fructueuse et utile à tous.

 

Ricardo Scaccheti, président-fondateur d'Impact Track,

et Noémie Garrot, co-fondatrice

A propos d'Impact Track

Impact Track est une ESUS qui a pour mission de rendre la mesure et l’évaluation d’impact social accessibles. Impact Track offre des solutions pour permettre aux organisations sociales de mesurer, piloter et communiquer leur impact – simplement, en toute transparence et en autonomie.

 


[1] Entretien pour CareNews, 10 avril 2020.

 

 

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