|    28 Novembre 2018

La Tribune de François Debiesse dans le Monde

"Il ne peut pas y avoir de mécénat sans éthique"

François Debiesse, président d'Admical, s’inquiète dans une tribune publiée dans le Monde du mauvais procès fait actuellement au mécénat culturel et estime que les nouvelles fondations d’art sont complémentaires des musées nationaux plus que des concurrents.

Tribune.

Depuis des mois, le mécénat fait l’objet d’attaques d’une virulence et d’une régularité inédites. Particulièrement visé : le mécénat culturel, et celui des grandes entreprises, notamment celles ayant créé des fondations d’art contemporain. Les plus anciennes fondations d’art font pourtant partie de notre paysage culturel et n’ont soulevé aucune polémique. Mais plusieurs de ces fondations ont vu le jour récemment, provoquant des réactions généralisées à l’ensemble du mécénat culturel, puis à l’ensemble du mécénat des grandes entreprises, et finalement à l’ensemble du mécénat tout court.

Résultat : une remise en question de la loi sur le mécénat, qui pourrait être dramatique pour le monde associatif. Les raisons de ces assauts contre le mécénat sont en complet décalage avec sa réalité de terrain. Les « grandes opérations » culturelles coûteraient trop cher à l’Etat et au contribuable par le biais de la défiscalisation.

C’est oublier un peu vite que de telles opérations font l’objet de concertation préalable entre le public et le privé, d’engagements réciproques, voire de contrats. C’est aussi passer sous silence que la défiscalisation, si elle est importante en pourcentage de la dépense initiale, n’en couvre néanmoins qu’une partie et que le mécène assume seul le complément.

Ces opérations ne seraient pas désintéressées et trahiraient l’esprit du mécénat. Soyons clairs : une entreprise qui s’engage dans le mécénat, c’est-à-dire qui assume des dépenses non liées à son objet social, poursuit des objectifs. Le mécénat est un vecteur d’expression des valeurs de l’entreprise, il permet de fédérer autour de projets d’intérêt général, il est un formidable créateur de liens, ces liens qui font si cruellement défaut à notre société d’aujourd’hui. De tels objectifs ne sont pas contraires au désintéressement nécessaire au mécénat : ils permettent aux entreprises de mieux exercer la nouvelle responsabilité sociétale qui leur est de plus en plus demandée.

Un moteur d’émulation

Quant au bénéfice d’image prêté à la grande entreprise, préoccupation majeure de ses détracteurs, il ne se décrète pas, et n’est répréhensible que s’il est mis au service de sa politique commerciale. Sans oublier que des nombreuses entreprises choisissent délibérément de ne pas communiquer sur leurs démarches de mécénat. De plus, il est fréquent qu’elles redonnent leurs contreparties (entrées offertes par les musées soutenus par exemple) aux associations qu’elles accompagnent.

Ces nouvelles fondations d’art, exerceraient une concurrence déloyale avec les grandes institutions culturelles publiques, les musées nationaux notamment. Les grands mécènes ayant créé une fondation d’art contemporain, qui se comptent sur les doigts d’une main, ne consacrent pas tout leur mécénat culturel à leur propre institution et continuent de financer les autres structures publiques qui représentent l’immense majorité des bénéficiaires du mécénat dans le secteur.

Ces nouveaux lieux culturels ont un pouvoir attractif qui bénéficie à nos magnifiques musées nationaux, à l’art en général et à la culture française dans son ensemble. La complémentarité l’emporte donc largement sur la concurrence, elle est un moteur d’émulation dont seul compte le résultat.

La ressource publique se fait plus rare, c’est une évidence pour tous et le besoin de ressources privées est donc de plus en plus important.

La situation est loin d’être idyllique : 9 % seulement des entreprises françaises sont mécènes. Cela progresse, mais c’est encore trop peu. Le mécénat d’entreprise l’an dernier s’est élevé à 3,5 milliards d’euros, à destination d’abord du domaine social où sont les plus grandes urgences, puis du monde culturel. 

 

Professionnalisation et transparence

Les grandes entreprises, qui ont été dans les années 1980 le moteur du mécénat d’entreprise, représentent toujours près de 60 % de ce montant. Elles en sont donc un indispensable pilier. Les citoyens français l’ont bien compris. Ils sont 69 % à penser que les grandes entreprises sont légitimes pour soutenir des actions en faveur de l’intérêt général et 64 % à les trouver efficaces.

Le mécénat a d’ailleurs beaucoup évolué au cours de ces dernières années sous leur impulsion : elles l’ont professionnalisé, l’ont rendu plus transparent, ont cherché de plus en plus précisément à en mesurer l’efficacité et l’impact, ont adjoint à leur politique mécénat des objectifs de responsabilité sociétale, et proposent des modèles de financement toujours plus innovants en impliquant de plus petites entreprises ou des acteurs publics dans leurs opérations.

 

Je l’affirme : il ne peut pas y avoir de mécénat sans éthique. C’est-à-dire sans la prise en compte d’un certain nombre de valeurs qui sont simplement, ou devraient être, celles de la vie en société : respect des droits et des lois, respect de l’environnement, respect des personnes et des droits humains, respect des engagements. Cette indispensable éthique impose des contraintes aux mécènes comme aux bénéficiaires du mécénat, et elle est la justification de la défiscalisation. Nous avons, en tant qu’acteurs du mécénat, toujours été à l’avant-garde de ces sujets. Faut-il formaliser davantage, en définir plus précisément les lignes, rajouter des contraintes ? Peut-être, nous allons y travailler.

 

Mais il faut en finir avec cet opprobre latent ou exprimé, avec ces doutes, ces insinuations sur l’honnêteté des mécènes. Sans lui, beaucoup de progrès seraient impossibles dans de nombreux domaines : de la recherche médicale aux festivals d’été, de la défense des droits des femmes à l’accès à l’éducation et à l’emploi, de la création artistique à l’accompagnement de la grande dépendance. Le mécénat est plus que jamais debout, et il doit continuer de l’être pour longtemps.

 

François Debiesse, Président d’Admical

 

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