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Passage à l’échelle et souci de l’impact : témoignages croisés de la Fondation AlphaOmega et Entreprendre & +

Paroles de mécènes

Crédits : Cedric Helsly
Questions à Elisabeth Elkrief, directrice générale de la Fondation AlphaOmega, Michel Sanitas, entrepreneur-philanthrope et membre d'Entreprendre &+ et Florence Casalis, directrice Développement et Philanthropie d’Entreprendre &+.

 

La Fondation AlphaOmega et Entreprendre & + ont un modèle d’accompagnement bien particulier dans le paysage du mécénat. Pouvez-vous nous le présenter brièvement ?

Elisabeth Elkrief :

Le mode d’action de la Fondation AlphaOmega est la Venture Philanthropy qui s’inspire des méthodes du Private Equity en les adaptant au secteur caritatif. Nous partons du principe qu’une association c’est comme une entreprise et qu’elle doit donc être gérée de la même manière. Nous accompagnons les associations à fort potentiel sur le long terme, en leur apportant à la fois un soutien financier et en compétences pour leur permettre ainsi d’accroître leur impact social.

Florence Casalis / Michel Sanitas :

Entreprendre&+ est un fonds de dotation créé, il y a 10 ans, par Arnaud de Ménibus. Depuis 2016, il s’est ouvert à d’autres entrepreneurs philanthropes – 16 à ce jour. Cette alliance a pour objectif d’accompagner (mentorat) et de soutenir financièrement des entrepreneur(s) sociaux tels que Ticket for Change, Rêve&Réalise, Vendredi, Share it, H’up entrepreneurs, Latitudes, Solinum, Start up de Territoire …


Vous avez tous les deux recours à des méthodes de Venture Philanthropy. En quoi une approche d’accompagnement « entrepreneuriale » permet-elle aux bénéficiaires de mieux se structurer et d’envisager un impact plus grand ?

E.E. : C’est en renforçant le pilotage stratégique, le management et l’efficacité opérationnelle des associations à fort impact que l’on pourra générer un véritable changement d’échelle.  Comme les entreprises, les associations ont besoin d’investissement opérationnel pour pouvoir croître dans de bonnes conditions. Nous les accompagnons sur 9 dimensions : la gouvernance, la stratégie, les RH, la Finance, le fundraising, la communication, la digitalisation, le juridique et enfin l’évaluation de l’impact.

F.C / M.S. : L’accompagnement entrepreneurial proposé par nos mentors philanthropes, à la fois bienveillant et exigeant, a pour objectif de contribuer, en mode projet, à identifier les leviers de croissance potentiels mais aussi les limites du projet, à aider l’équipe à les dépasser et à passer à l’échelle supérieure. Lors de rencontres régulières (généralement mensuelles), le/la mentor « challenge » l’entrepreneur(e) sur sa vision et sa stratégie ; il lui permet de prendre du recul (« sortir la tête du guidon ») et se projeter à plus long terme pour anticiper les prochaines étapes clés de son accélération ou son changement d’échelle.

 

Vous accompagnez respectivement une petite dizaine de bénéficiaires sur des cycles d’environ 3 ans, renouvelables. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos critères de sélections ? Comment choisissez-vous les projets que vous accompagnez ? Quelle place y occupe l’impact ?

E.E. : La Fondation AlphaOmega accompagne durant 3 à 5 ans les associations leaders dans l’éducation et l’insertion professionnelle des jeunes défavorisés. Elles doivent tout d’abord apporter des solutions aux jeunes aux moments clés de risque de décrochage scolaire que nous avons identifiés. Nous sélectionnons exclusivement des associations ayant atteint une taille critique (+ de 10 000 jeunes accompagnés / an et 3 ans d’activité.) grâce à leur performance, leur « Unique Social Proposition », et l’expertise de leur équipe managériale, dont nous partageons la vision. Nous les accompagnons sur le long terme en apportant un soutien financier et en compétences pour renforcer leurs structures. Une fois toutes ces cases cochées, la Fondation AlphaOmega lance une Due Deal sur 6 à 9 mois afin d’évoluer le potentiel de croissance de l’organisation pour passer à l’échelle.

Bien entendu la mesure d’Impact est essentielle dans notre métier. Nos associations développent des méthodes d’évaluation d’impact rigoureuses, en collaboration avec la recherche, pour optimiser continuellement leurs programmes et avoir ainsi plus d’impact sociétal durable.

F.C. / M.S. : Les critères de sélection propres à Entreprendre&+ sont les suivants : la posture entrepreneuriale du porteur de projet et sa capacité à être accompagné, la clarté du problème identifié, la pertinence de la solution envisagée, et sa capacité à changer d’échelle pour avoir un impact sur l’ensemble du territoire français à terme.

Concernant l’impact, nous demandons, à minima, une mesure de résultats à court terme qui doit être suivi, à moyen terme, par une « évaluation » d’impact.

Au vu de ces critères, notre processus de sélection suit plusieurs étapes. Une fois, le projet identifié par Félicie Goyet, notre directrice Projets & Impact, il est soumis à notre comité projets (5 entrepreneurs philanthropes) qui analyse le dossier de candidature et rencontre le porteur de projets. Le comité décide alors de présenter ou non le projet au comité de sélection qui réunit l’ensemble des entrepreneur(e)s philanthropes, 16 à ce jour. Nous avons 1 à 2 comités de sélection par an et soutenons 3-4 nouveaux projets par an.


La Fondation et l’Alliance fonctionnent majoritairement grâce à des fonds privés, mais vous avez de nombreuses interactions et partenariats avec de grandes entreprises mécènes. Quels types de relations entretenez-vous avec elles ? Comment voyez-vous évoluer ces relations demain ? Quels sont les enjeux ?

E.E. : De grands cabinet tels qu’Oliver Wyman ou le BCG apportent leurs compétences à nos associations en réalisant des missions pro bono pour les accompagner à établir leurs plans de transformation. Devoteam intervient pour diagnostiquer et accompagner leur transformation digitale. Par ailleurs, nous travaillons étroitement avec d’autres financeurs qui s’impliquent à nos côtés pour financer certaines parties des plans de transformation. Cela nous permet de générer un effet de levier, car pour chaque euro investi dans nos associations, la Fondation AlphaOmega mobilise 1 euro de financement supplémentaire, et à 1 euro de mécénat de compétences des équipes internes AlphaOmega, il faut ajouter l’équivalent de 1 euro de compétences externes probono. On obtient ainsi un effet démultiplicateur de 4 euros.

F.C./ M.S. : Jusqu’à présent, nous mettions en relation nos projets avec des fondations de grandes entreprises potentiellement intéressées (Vinci, Suez, ADP…).

Demain, nous envisageons de formaliser plus ces partenariats, de réunir des tours de table autour de sujets particuliers pour pouvoir mobiliser plus de financements et changer d’échelle.

L’atout pour ces projets accompagnés par Entreprendre&+ (sur 3 ans), c’est de bénéficier ainsi d’un « label » Entreprendre&+. La garantie pour les partenaires pressentis c’est d’investir sur des projets de qualité, structurés (cf. niveau d’exigence dans l’accompagnement et la sélection) portés par une équipe solide et ambitieuse.

 

Quels sont vos prochains défis pour les années à venir ?

E.E. : Aujourd’hui, à chacun des moments charnières de risque de décrochage, nos associations accompagnent 10% de sa population cible. Nous espérons qu’elles pourront toucher 25% des jeunes concernés, et ainsi contribuer à la relance de l’ascenseur social.

F.C./ M.S. : Nous avons deux défis majeurs :

  • Être là où les besoins sont peu ou mal couverts en finançant ce que les entrepreneurs sociaux ont souvent du mal à faire financer : l’innovation sociale, la coopération entre acteurs…
  • Sensibiliser toujours plus d’entrepreneurs à devenir philanthropes, à donner du sens à leur réussite en s’engageant collectivement pour soutenir des entrepreneurs à impact, pour grandir ensemble dans leur philanthropie. C’est l’objet de l’alliance portée par Entreprendre&+, véritable incubateur de philanthropes déclencheurs d’impact social.

 

Propos recueillis par Léo Gaudin

 

 

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