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Fondations et investissements : et si vous passiez au vert ?
Paroles de mécènes
Le changement climatique n’est plus une projection lointaine égrenée depuis des années au fil des rapports du GIEC, mais une réalité que l’humanité prend de plein fouet, qu’elle habite les terres submergées du Pacifique, les villes brulées de Californie, les champs inondés de Belgique ou d’Allemagne, les vallées fracassées par les débordements de la Vésubie.
La philanthropie est « amie du genre humain » ; elle se doit donc de répondre à ces défis car les conséquences des dérèglements climatiques impactent durablement la multitude des causes qu’elle soutient : pauvreté, éducation, genre, habitat, culture, biodiversité, migration des populations, alimentation, et bien d’autres.
La naissance de la Coalition française des fondations pour le Climat le 18 novembre 2020, et celle du mouvement international #PhilanthropyforClimate, lancé le 9 novembre dernier dans le cadre de la COP 26, sont autant d’appels à l’action de l’ensemble des fondations par la signature d’un manifeste en 7 piliers concrets : la formation et la sensibilisation (équipes, gouvernance, partenaires) ; la mobilisation de ressources ; l’intégration de ces enjeux dans les programmes ; les investissements ; les opérations ; le plaidoyer ; et la transparence à travers un rapport annuel de progrès.
Des coalitions nationales existent au Royaume-Uni, en France, en Espagne, au Canada, et bientôt en Italie, créant ainsi une vaste communauté de pratiques au service de l’action. Les fondations qui n’ont pas d’initiative dans leur pays peuvent signer le « pledge » à l’international porté par l’association Wings. A ce jour, plus de 400 fondations ont signé le manifeste dont plus de 100 françaises.
Les critères ESG ne sont plus une option
Certes les sommes en jeu, celles du mécénat, sont plus que modestes au regard des besoins. Selon les données d’octobre 2019 provenant de la Banque mondiale, pour faire face au changement climatique la planète devra consacrer des moyens considérables aux infrastructures dans les 15 prochaines années, autour de US$ 90 000 milliards en 2030. Pourtant, au-delà de l’effet de levier bien connu des fondations, de leur capacité à rassembler des points de vue différents, à prendre des risques en finançant des solutions innovantes, la mobilisation de leurs investissements au service de la transition peut avoir un effet encore plus impactant.
Mettre ses investissements en cohérence avec les enjeux climatiques, sans renoncer à la performance nécessaire au financement du mécénat, est un chemin complexe qui présente encore beaucoup d’incertitudes. Il faut pourtant se lancer. En signant l’initiative DivestInvest en 2015, dans le cadre de la COP 21, la Fondation Daniel et Nina Carasso a commencé par renoncer à tout investissement dans les énergies fossiles (production, distribution), puis elle s’est engagée à investir au moins 5% de son portefeuille dans des investissements visant l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique. Fin 2020, l’intensité carbone de son portefeuille était de 33% de moins que l’indice de référence et sa « part verte » était de 7%. La stratégie de cohérence de la Fondation implique également une construction de son portefeuille autour des investissements socialement responsables (ISR). Leur part est aujourd’hui de 93% dont 10% d’investissements à impact. La Fondation Daniel et Nina Carasso a ensuite fait des choix de thématiques d’investissement, sur l’impact - par exemple en créant un fonds dédié à l’alimentation durable qui contribue à la transition écologique - mais aussi sur la poche illiquide de son portefeuille, en investissant dans des fonds de private equity qui intègrent les enjeux climatiques (ex : aquaculture durable) ou dans des fonds sur les infrastructures d’énergies alternatives. Enfin, la Fondation a souhaité partager son parcours et ses apprentissages à travers un rapport d’investissement à impact dont la 2ème édition sera bientôt rendue publique.
Face au défi climatique, la Fondation a décidé d’aller plus loin, tout d’abord en privilégiant les investissements dits « article 9 » du règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui intègre les risques ESG et des objectifs d’impact, puis en s’appuyant sur la taxonomie européenne actuellement en construction - sans éluder les débats actuels sur l’intégration du nucléaire et du gaz -, enfin, en essayant de construire un fonds dédié qui s’aligne sur la trajectoire d’augmentation des températures à 2°.
Ces objectifs sont ambitieux et demanderont un travail exigeant de la part des gestionnaires de fonds. Pour autant, les critères ESG ne sont aujourd’hui plus une option, et devraient être la colonne vertébrale de tout investissement. De plus en plus de gestionnaires les intègrent, recrutent des équipes « extra-financières » compétentes, se dotent des bases de données nécessaires pour évaluer les actifs sur ces enjeux et produisent des reporting de qualité. Certes, les débats d’experts persistent, les indicateurs se contredisent parfois, les résistances sont toujours là. Mais il ne faut pas que ces écueils soient autant de raisons à l’immobilisme. Les fondations aiment le risque et ouvrir des voies innovantes. Avec leur stratégie d’investissement, elles ont aujourd’hui une offre sur le marché de la finance et surtout une réglementation qui leur permet de conjuguer stabilité, une certaine prudence, mais aussi des choix forts et ambitieux au service de la mère des combats, la lutte contre le changement climatique.