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Mécénat et recherche, ensemble pour l’avenir
Expertise
La France, comme toutes les grandes puissances économiques du monde, attend de la recherche scientifique et de l’innovation technologique la croissance de demain. Cette dynamique est pertinente et enthousiasmante tant les atouts de notre pays sont nombreux. Malheureusement, nous ne sommes plus seuls, dans le contexte actuel d’une mondialisation des connaissances et d’une compétition économique croissantes, et nous nous trouvons confrontés à des défis inédits. En particulier à celui du financement de la recherche fondamentale, qui est le plus souvent oubliée, parce que le temps de la recherche n’est pas celui du politique ou de l’actionnaire et parce que son rôle dans le développement harmonieux de la société n’est pas toujours bien compris. Il faut répéter qu’il n’y a pas d’innovations technologiques sans recherche fondamentale, c’est-à-dire sans un tissu d’institutions, laboratoires, instituts, de recherche de très haut niveau au sein desquels les meilleurs chercheurs, dans la plus grande liberté, découvrent les secrets des mondes matériels et culturels et expriment leur inventivité. C’est cette liberté et le temps nécessaire pour l’exercer qui peuvent troubler parfois en effet le citoyen, le politique ou l’entrepreneur, de même que l’incertitude sur les résultats d’une recherche risquée, et dont les bénéfices socio-économiques ne sont pas programmables dans un terme imposé. Mais il y a mille exemples de découvertes fondamentales, issues de cette liberté de recherche, qui ont conduit plus tard à des applications qui n’étaient pas anticipées. Qui aurait pu dire que les travaux très fondamentaux d’Alfred Kastler, sur le pompage optique, il y a près de 60 ans et qui justifieront un prix Nobel en 1966, allaient donner naissance au laser, utilisé aujourd’hui dans l’industrie pour le micro-usinage ou pour la lecture des CDs. Comme disait Louis pasteur : « il n’y a pas de recherche appliquée, il n’y a que des applications de la recherche ».
Si ce continuum entre recherche fondamentale et appliquée est tout de même assez intuitif dans le cas des sciences exactes, il l’est encore moins pour les sciences humaines et sociales. Et pourtant les enjeux sont les mêmes pour les secondes. Le Collège de France, par exemple, s’est engagé résolument dans la création d’un instrument, probablement unique dans le monde, un Institut des Civilisations, pour l’étude des civilisations les plus anciennes jusqu’aux sociétés et cultures d’aujourd’hui. Evidemment ce projet nécessite des investissements lourds auxquels l’Etat contribue fortement mais qui nécessitent des financements complémentaires. Quelle est l’utilité de ces recherches et de ces dépenses ? Elle est considérable. En effet, dans un monde de plus en plus complexe, où la défense des identités nationales se mélange à la menace d’un « choc des civilisations », il est urgent de montrer, à travers les recherches menées et les enseignements donnés par les meilleurs spécialistes, comment les différentes civilisations, au contraire, interagissant l’une avec l’autre, ont apporté et apportent encore, ensemble et parfois de façon harmonieuse, leur pierre à la marche de l’humanité. La rigueur de la recherche historique et une lecture scientifique transversale, dans le temps et dans l’espace, sont indispensables pour comprendre ce dialogue millénaire et le trouble du temps présent.
Cette recherche fondamentale coûte cher. Partout dans le monde, des politiques agressives de modernisation et de financement des systèmes de recherche et d’enseignement supérieur sont mises en œuvre. En Corée, aux Etats-Unis, en Chine, en Allemagne, des centres de recherche d’excellence sont sélectionnés pour promouvoir l’interdisciplinarité, favoriser la collaboration entre le monde industriel et le monde académique, stimuler la création de start-ups, attirer les meilleurs chercheurs du monde entier. Dans ces centres, tous les acteurs sont mobilisés : l’Etat bien sûr, les entreprises, mais aussi, de plus en plus, les Fondations, mécénat individuel ou mécénat d’entreprise. Dans cette compétition, la France perd du terrain, aujourd’hui déjà descendue au seizième rang dans le classement des parts nationales du PIB consacrées à la recherche et au développement, avec ses 2.3 %. Malgré l’excellence de ses jeunes chercheurs, de ses grands organismes publics de recherche, de nombreuses universités et écoles, d’établissements prestigieux, les moyens publics ne sont plus à la hauteur, les entreprises françaises sont connues pour investir insuffisamment dans la recherche, et le mécénat en direction de la recherche reste curieusement marginal. Si le mécénat d’entreprise en France, il faut s’en réjouir, est en forte croissance (presque 4 milliards d’euros), on s’aperçoit que la recherche est très loin derrière d’autres destinations : la culture, le sport, l’environnement, le social et l’éducation, par exemple mobilisent mieux les mécènes que la recherche. Si ces secteurs sont évidemment déterminants, la recherche doit enfin devenir une question centrale du mécénat et des Fondations.
Le mécénat constitue un mécanisme unique, parfaitement adapté, de soutien à la recherche. Il permet en effet aux institutions de recherche de disposer de fonds qui sont immédiatement et facilement mobilisables ce qui permet d’être beaucoup plus réactif dans le démarrage d’un projet de recherche ou dans le recrutement d’un chercheur. Il respecte la liberté du chercheur, et lui donne le temps pour explorer des pistes nouvelles et inattendues. Il exprime enfin à la fois une reconnaissance explicite par la société de l’excellence de certaines institutions nationales de recherche et de leurs chercheurs et une ambition, un pari sur l’avenir, un optimisme, une confiance et un espoir dans l’homme et dans sa capacité de comprendre le monde d’aujourd’hui et d’inventer un monde meilleur pour demain.
Marc Fontecave