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L’innovation : l’obligation créatrice

Paroles de mécènes

Tribune de Xavier Darcos, président de la fondation Sanofi Espoir

Les actions philanthropiques  ne diffèrent pas des autres formes d’engagement : la recherche de l’efficacité consiste toujours à atteindre des objectifs précis et bien définis, mais il faut désormais prendre en considération les moyens dont on dispose.  Car le champ du possible est devenu illimité.  Les opérateurs subissent donc une double contrainte : une  attrition budgétaire inévitable face à des besoins sociaux croissants et mondialisés. Nous sommes confrontés à des crises inédites, liées à la transition climatique, démographique et épidémiologique, dans un contexte de drames humains sans cesse réactivés par des conflits destructeurs. L’action philanthropique affronte des besoins immenses, alors même que ses budgets ne sont plus indéfiniment extensibles. Malgré ces injonctions paradoxales, tout le monde s’habitue à ce que l’efficience suppose une capacité d’obtenir le maximum de résultats avec le minimum de moyens. Il faut viser au plus efficace en ménageant coûts, efforts et énergie. Cette évidence rend indispensable l’innovation et des ajustements continus, seul moyen d’arriver à des solutions durables, adaptées à ces nouveaux enjeux.

L’innovation technologique peut contribuer à sortir de cette impasse et à servir de tels objectifs. Elle a un coût préalable, bien sûr, mais elle se conçoit comme un investissement de long terme. Bien des choix innovants sont des paris : ils constituent de formidables outils qui s’avéreront peu onéreux. Par exemple, la Fondation Sanofi Espoir, pour mener à bien sa mission dans la réduction des inégalités en santé, soutient des projets fondés sur la « e-santé ». Un des projets que nous soutenons, pour améliorer  la prise en charge du cancer de l’enfant dans les pays à faible revenu, utilise la télémédecine et diverses technologies de télécommunication ou de transfert d'images. C’est un moyen d’échange d’informations rapide entre les équipes locales et des équipes françaises. Cette technologie de pointe compense le manque d’anatomopathologistes dans ces pays, avec un bénéfice direct et quantifiable pour les patients. De même, dans le domaine de la santé maternelle et néonatale, nous soutenons des applications mobiles qui permettent, entre autres, de rompre l’isolement des sages-femmes qui exercent dans des zones rurales, mal équipées ou reculées. Ces outils les accompagnent au quotidien. Ils les aident notamment à mieux identifier les complications de certaines grossesses, pour référer plus tôt et plus rapidement les femmes enceintes vers des centres de santé mieux équipés. Ces mêmes outils concourent à la formation et au parrainage, grâce à d’autres sages-femmes plus expérimentées ou mieux formées. C’est une approche dynamique et interactive, qui permet éducation, échange de données ou d’information, et surtout lutte contre le retard au diagnostic, dont les conséquences sont toujours désastreuses. Nous travaillons actuellement sur d’autres projets fondés sur des technologies disruptives qui peuvent apporter des solutions inédites aux populations les plus vulnérables.

Mais l’innovation continue, visant l’efficience, ne se résume pas à cette approche technologique. L’innovation suppose un autre état d’esprit, une autre façon de faire et de collaborer. C’est un système global qui doit être bousculé. Il faut rompre avec les approches traditionnelles du coup par coup, des actions isolées, de la réaction en urgence. La pire ennemi désormais, c’est la dispersion des énergies, si l’on prétend  atteindre une efficacité compatible avec les enjeux de l’agenda 2030 pour le développement durable, compatibles avec les moyens dont nous, société civile, pouvoirs publics et privés, disposons. Tous les acteurs mondiaux savent que nous sommes obligés d’avoir une pensée globale, transnationale, horizontale, pour lutter contre des phénomènes planétaires qui sont tous interdépendants et connectés. Ils dépassent l’approche purement technique et la solution immédiate, bricolée par la technologie. L’innovation, elle aussi, doit se penser globalement. Elle se trouve au carrefour d’une approche macro-systémique (politiques publiques, par exemple), d’une approche micro-systémique (les pratiques des équipes et des communautés par exemple), d’une approche technologique et d’une prise en compte des facteurs d’influence. Croiser ces domaines et faire collaborer les différents acteurs : voilà la vraie approche innovante. En d’autres termes, l’innovation repose aussi sur la mobilisation concrète d’acteurs engagés qui se parlent et agissent de concert.

Portée par cette conviction, la Fondation Sanofi Espoir soutient le projet « Convergence » d’Emmaüs Défi. Emmaüs Défi est un laboratoire d’innovations sociales dont l’activité repose sur  un chantier d’insertion. Il a démontré que ses salariés en insertion présentent en moyenne six ou sept freins à la réinsertion. Ces salariés sont donc accompagnés par plusieurs référents sociaux suivant chacun une problématique spécifique (hébergement, santé, suivi RSA, suivi judiciaire, administratif et emploi). L’innovation du projet « Convergence » repose non seulement sur le dispositif d’accompagnement renforcé et global, mais aussi et surtout sur le décloisonnement et la coordination des acteurs engagés. En résumé, ce dispositif permet à chacun de faire sa part pour arriver à un objectif commun, la lutte contre la grande exclusion. On touche clairement à  une forme d’innovation sociale.

Dans ce nouveau modèle, le mécénat est partie prenante. Trait d’union naturel et indispensable entre la société, les responsables politiques et l’entreprise (dont les dirigeants et les salariés sont eux-mêmes des citoyens engagés, aux yeux ouverts), le mécénat doit s’adapter et innover dans ses modes de fonctionnement. Réfléchir avec les autres fondations, les partenaires, les gouvernements, le privé ; sortir des silos et des compartiments ; échanger des idées et sélectionner ensemble les plus prometteuses ; les mettre en application grâce à un processus rigoureux qui empêche perte de temps et coûts supplémentaires ; définir des indicateurs pour avoir une bonne mesure des résultats ; diffuser ces bonnes pratiques, dans leur conception et leur bilan : voilà l’innovation collective dont a besoin la société de demain.

 

Xavier Darcos

 

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