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Les résidences d’artistes en entreprises, des ponts entre mondes économique et culturel
Expertise
Si les projets de mécénats culturels sous formes de versements financiers, d’apports en compétences ou en nature ou bien par le développement des fonds et fondations d’art contemporain sont répandus et largement visibles, les résidences d’artistes ne cessent de se multiplier sur les territoires. Au delà du partenariat bilatéral qui se crée entre l’entreprise et l’artiste, de nombreux autres acteurs favorisent ces démarches et bénéficient de leur dynamique. Largement encouragées par les pouvoirs publics, elles sont un moyen innovant pour les entreprises d’apporter leur soutien à la création artistique sous toutes ses formes, autant qu’à la professionnalisation des artistes. Elles sont des laboratoires qui offrent du temps, des espaces, des outils et un accompagnement au service de l’art.
Des partenariats publics/privés au service de la création artistique
Si la résidence implique principalement l’entreprise et l’artiste, le gouvernement au niveau central et déconcentré, les collectivités territoriales, les collectifs d’entreprises mécènes regroupées sous formes d’organismes sans but lucratif ou encore les institutions culturelles publiques et privées prennent également part aux projets. C’est cette multitude d’acteurs publics et privés auteurs et/ou acteurs des démarches de résidences d’artistes qui font leur richesse et leur succès.
Dans les années 1980, sous l’impulsion du gouvernement en place, le développement des résidences d’artistes en entreprises prend de l’ampleur. Les pouvoirs publics identifient en effet le monde du travail comme un terreau fertile pour des nouvelles formes de pratiques artistiques. Les conventions signées entre le gouvernement et les comités d’entreprise et la promulgation de la loi sur le mécénat en 2003 instaurent un dialogue entre art et travail et des ponts sont crées entre ces deux mondes. L’Etat redynamise la pratique des résidences d’artistes dans les entreprises en 2015. En effet, la direction générale de la création artistique (DGCA) du ministère de la Culture initie un séminaire axé sur la place qu’occupe l’art dans le monde du travail. A la suite de ces réflexions, la charte « Art et monde du travail » est élaborée. En 2017/2018, afin de mettre cette charte en pratique, l’Etat accompagne, grâce aux Directions régionales des affaires culturelles (Drac) implantées localement, treize résidences d’artistes en entreprises dans dix régions. Quinze nouvelles résidences sont en cours sur les années 2018/2019.
En parallèle des politiques facilitatrices mises en place par les pouvoirs publics et en collaboration avec ces derniers, des réseaux d’entreprises encouragent et accompagnent les entreprises intéressées par les résidences d’artistes. Des acteurs tels que le réseau Entreprendre ou Mécènes du sud contribuent activement au rapprochement des entreprises avec les structures culturelles de proximité. Ainsi, en partenariat avec le réseau Entreprendre, les Drac favorisent le rapprochement entre les entreprises, les artistes et les structures culturelles publiques et privées au niveau local. Grâce à ces alliances, les signatures par les comités d’entreprise de la convention cadre « Culture et monde du travail » se sont multipliées et des synergies entre le monde économique et le monde culturel ont vues le jour. L’association Mécènes du sud, implantée sur le territoire d’Aix-Marseille et qui vie aujourd’hui grâce à l’engagement de près de quarante-cinq entreprises, promeut et développe les liens entre l’art et l’entreprise depuis sa création. En témoigne l’ouvrage « Comment aborder une résidence d’artiste dans son entreprise » publié à la suite d’ateliers de réflexions menés par l’association sur ce sujet. Afin de poursuivre cette dynamique, Mécènes du sud a édité cette année en partenariat avec le ministère de la Culture, un guide pratique des résidences d’artistes en entreprises.
Dans la continuité de ces démarches co-construites en faveur de la création artistique, des programmes hybrident mêlant entreprises privées, entreprises publiques et structures culturelles subventionnées voient le jour. Ainsi, le Carreau du Temple a crée PACT(e), programme invitant les artistes de toutes disciplines à créer leurs œuvres au seins d’entreprises et d’organisations du secteur public et privé.
Un enrichissement réciproque qui dépasse les intérêts naturels des parties prenantes
Les résidences d’artistes en entreprises fonctionnent comme de véritables partenariats co-construits et qui fonctionnent sur un principe d’intérêts mutuels.
Les enjeux sont multiples pour les différents acteurs des résidences. Le rapport de la DGCA de 2019 « la résidence d’artiste, un outil inventif au service des politiques publiques » explique que :
- pour les salariés, « la rencontre artistique sur le lieu de travail constitue un facteur d’émancipation et une expérience sensible, à la fois intime et collective, qui incite à la réflexion, à l’expression et aux échanges » ;
- pour les entreprises, « l’art peut constituer un levier pour la cohésion des équipes et la valorisation du travail, une source d’innovation et d’audace permettant l’autonomie et la coopération » ;
- pour les comités d’entreprise, la possibilité de « donner de la visibilité à leur action culturelle, renforcer et valoriser leurs compétences en matière de médiation et mettre en relation leurs projets avec ceux du réseau artistique » ;
- pour les artistes, « la possibilité́ de devenir des partenaires de l’entreprise et des acteurs de l’expérimentation, en trouvant des outils d’expression, de production, de collaboration et de diffusion nouveaux, en lien avec les structures culturelles locales ».
Ainsi, les intérêts des résidences d’artistes en entreprises vont bien au delà des simples avantages fiscaux pour l’entreprise et des nouveaux marchés pour l’artiste. Grâce à cette pratique, l’artiste sort des règles de l’art et il n’est pas seulement accueilli par l’entreprise, il va aussi travailler avec elle. C’est les interactions, les confrontations entre le processus créatif de l’artiste et les hommes et les femmes qui composent l’entreprise qui permettront d’aboutir à une œuvre singulière. Comme l’explique Jean-Pierre Burdin dans le guide pratique 2019 édité par Mécènes du Sud, « cette œuvre sera inédite, voire inouïe, si précisément elle est conçue en altérité, mais donc en correspondance aussi, avec la société du travail dont elle fait sa matière ».
Pour les entreprises, l’accueil d’artistes en résidence peut s’inscrire dans leurs démarches de responsabilité sociale et sociétale. Elles vont ainsi bien au delà de leurs simples obligations juridiques et de leurs objectifs de performance mais investissent dans le capital humain, inventent et se remettent en question. Dans cette démarche collective, qui implique souvent les collaborateurs, la dimension créatrice apportée par l’artiste est vecteur de réinvention et d’innovation. Par ailleurs, l’impact sur l’image de l’entreprise est sans conteste mais il va surtout bien au delà des murs de l’entreprise. En effet, l’attractivité culturelle des territoires dans lesquels les entreprises qui accueillent sont implantées se trouve renforcée, d’autant plus pour les milieux ruraux éloignés des lieux de diffusion culturelle.
Clara Lemonnier