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Les Femmes en sciences : une route encore longue, mais une voie ouverte

Expertise

© Fondation L’Oréal Avec son action Pour les Femmes et la Science, la Fondation L’Oréal suscite les vocations des jeunes filles dès le collège, encourage les chercheuses et récompense l’excellence dans un domaine où les femmes devraient être encore bien plus nombreuses.
En tête de son incontournable Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir a inscrit cette phrase : « L’esprit n’a pas de sexe » ... et pourtant, toutes les statistiques, y compris les plus récentes, réfutent cette affirmation en ce qui concerne les sciences. La Science dont le sexe serait diablement masculin…

La question n’est pas nouvelle, le problème est ancestral, et cette fameuse phrase reprise par Simone de Beauvoir est née sous la plume d’un philosophe du 17ème siècle, François Poulain de la Barre, curieux personnage de ce temps, fluctuant dans ses convictions religieuses, mais constant et résolu dans ses idées féministes. Il fit paraître il y a presque 350 ans un traité intitulé « De l’égalité des deux sexes » dans lequel il affirmait que « l’inégalité de traitement que subissent les femmes n’a aucun fondement naturel, mais procède d’un préjugé culturel » ... et il ajoutait : « les femmes sont aussi nobles, aussi parfaites que les hommes, mais cela ne peut être établi qu’en combattant deux sortes d’adversaires : le premier est la pensée vulgaire, le second est l’ensemble de presque tous les savants... ».[1]

Certes, depuis ce temps lointain, il y a eu quelques contre-exemples célèbres, de Marie Curie et Irène Joliot-Curie à Hedy Lamarr, Jocelyn Bell-Burnell, Rosalind Franklin ou Françoise Barré-Sinoussi. Mais les chiffres les plus récents restent éloquents : selon une étude de l’Unesco de juin 2018[2], les femmes continuent d’être une minorité parmi les chercheurs du monde entier, 28,8% globalement - moins d’un tiers ! Avec des disparités géographiques cependant : plus de 45% pour l’Asie centrale et l’Amérique latine, 40% pour le monde arabe et l’Europe centrale et orientale, mais seulement 32% pour l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale, 31% pour l’Afrique subsaharienne et 20% ou moins pour l’Asie de l’Est et du Sud...

Sur 593 Prix Nobel décernés pour des travaux dans une discipline scientifique depuis 1901, seuls 18 ont récompensé une femme (dont une qui en a reçu deux). Quant à la France, elle est reléguée bien loin dans le classement européen, avec seulement 27% de femmes chercheurs... seuls la Tchéquie et les Pays-Bas font plus mal encore dans ce domaine en Europe !

Corollaire ou conséquence de ce constat, les femmes sont moins payées pour les travaux de recherche, leur carrière ne progresse pas aussi vite que celle des hommes, et seulement 1 brevet sur 7 est déposé par une femme...

 

Alors comment expliquer ce phénomène ?

Filles et garçons font pourtant preuve de performances similaires dans les matières scientifiques au lycée, mais les filles s’écartent progressivement de cette filière au long de leur cursus. Leur nombre a progressé dans les écoles d’ingénieurs et les formations universitaires de santé, mais elles restent très minoritaires dans l’ensemble de la filière scientifique (37%), et en 2017, 28% seulement des diplômés ingénieurs étaient des femmes... ça progresse, mais lentement !

Parmi les étudiants en sciences, le choix d’options demeure très « sexué » : en 2017 toujours, on comptait 61% de femmes dans les « sciences de la vie », contre 28% à peine dans les sciences fondamentales. Et il en va de même dans l’entreprise : dans le domaine des mathématiques au sens large comme dans la conception de logiciels, 14% des chercheurs sont des femmes. Dans le monde académique, les carrières semblent elles aussi plafonnées, bridées : il n’y a pas assez de femmes dans les universités françaises, et malgré la loi de 2013 sur la parité dans la gouvernance, elles sont très peu nombreuses aux postes les plus élevés (17% des universités sont dirigées par une femme).

 

Pourquoi une telle inégalité, une telle injustice ?

Héritage « culturel » ? Poids de la tradition, une tradition qui voudrait que les femmes s’occupent d’abord de la famille et de la vie quotidienne ? Difficulté d’organisation dans un monde scientifique de plus en plus international où se déplacer est un impératif incontournable ? Ou volonté hégémonique des hommes perpétuée à travers les siècles ?

Il semble pourtant que les nouvelles générations s’affranchissent petit à petit de ce poids. Beaucoup d’efforts sont faits, de moyens sont mis en œuvre pour aller rapidement dans la bonne direction, pour attirer davantage de femmes vers la science.

L’objectif du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation est de parvenir à 40% de femmes dans les filières scientifiques dès la rentrée 2020.

Et la puissance publique n’est pas seule à agir dans ce sens ; elle peut s’appuyer sur de belles initiatives associatives, comme celles de l’association Femmes et Sciences qui vise à inciter les jeunes filles à s’orienter vers des carrières scientifiques et à y renforcer la position des femmes. Parmi les moyens que l’association met en œuvre, un programme de « mentorat » de femmes scientifiques destiné à accompagner les jeunes doctorants dans la construction de leur carrière. Ce programme est soutenu par l’Université de Montpellier, le CNRS et plus récemment par une école d’ingénieurs en agriculture.[3]

 

De la sensibilisation des jeunes au soutien aux chercheurs, le mécénat a toute sa place

Quant au mécénat, il n’est pas absent bien-sûr de ce champ d’importance fondamentale. Est-il besoin de rappeler l’engagement de la Fondation L’Oréal ? Depuis 1998, elle a développé son programme « Pour les Femmes et la Science » qui identifie, soutient et met en lumière chaque année des femmes qui, à différents niveaux de leur carrière, contribuent aux avancées scientifiques, et cela sur tous les continents (chaque année, 5 prix, un par continent). Parmi les lauréates, deux ont été depuis consacrées par le Nobel (Elisabeth Blackburn, médecine en 2009 et Ada Yonath, chimie en 2009 également). Depuis 2010, le programme offre aussi des bourses de recherche pour jeunes femmes scientifiques en thèse ou post-doctorat (250 bourses par an, touchant près de 200 pays, orientées vers des projets prometteurs en sciences de la vie et de la matière). Enfin, en 2014, la fondation a lancé le programme « Pour les filles et la science » dont l’objet est de susciter des vocations chez les filles dans les filières scientifiques, avec notamment des opérations de sensibilisation dans les lycées, soit par des visites in situ de chercheuses, soit sur le web. Le programme entend « démystifier » la science, casser les craintes que le système entretiendrait chez les filles et incarner la réussite des femmes en science, pour donner confiance aux jeunes filles, pour faire naître en elles l’envie de poursuivre dans cette voie. Quant à la campagne digitale intitulée « Les filles aussi » destinée aux filles de 15 à 18 ans, elle vise à les informer et les accompagner à un moment décisif de leur orientation.[4]

 

Et il y a, il y aura beaucoup d’autres associations, en France et dans le monde, beaucoup d’autres mécènes aussi, travaillant de façon de plus en plus collective pour bâtir des solutions nouvelles, pour ouvrir de nouvelles portes. La route est encore longue sans doute et le rythme trop lent, mais la voie est désormais ouverte : la place des femmes dans la science va grandir, leur contribution est indispensable à l’avancement de la connaissance scientifique et à une réelle avancée vers le développement durable. Égale à celle des hommes en capacités et en compétences, leur contribution en est aussi complémentaire, par une vision propre qui ne peut être que positive pour le progrès humain...

Plus de femmes en sciences ? Certes oui, elles, et la science, le valent bien !

 

François Debiesse

 

 

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