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La Maison Martell crée une fondation culturelle pour accompagner son projet d'entreprise

Expertise

Certains destins sont fascinants. Ainsi, celui de Jean Martell (1694 – 1753). Imaginait-il en quittant son île de Jersey, en 1715, que le jeune négociant en route pour le sud-ouest de la France allait finalement s’installer à Cognac et y fonder une maison qui, trois siècles plus tard, continuerait de produire, exporter et commercialiser des spiritueux appréciés dans le monde entier ? Et que ses successeurs implanteraient un jour, en face de sa maison construite au milieu de ses chaix, un centre culturel abritant une fondation portant son nom? Telle est bien pourtant l’histoire du fondateur de la plus ancienne des grandes maisons de cognac fondée au 18ème siècle. Le siècle du raffinement et de l’art de vivre à la française, qui demeurent les moteurs du développement du groupe Martell Mumm Perrier-Jouët.

Pour l’heure, le devenir de la fondation d’entreprise Martell passe par la rénovation de l’ancien bâtiment à l’architecture moderniste édifié en 1929 pour accueillir les lignes d'embouteillage du précieux nectar de la maison de cognac. Construit sur le clos de Gâtebourse acquis par Jean Martell en 1750, cet empilement de boîtes parallélépipédiques en béton armé lance fièrement vers le ciel ses cinq étages. C’est qu’avant de se faire horizontalement dans une nouvelle usine implantée à Lignères, près de Rouillac, la mise en flacon du cognac Martell s’est effectuée jusqu’en 2005 verticalement, selon un système gravitaire.

 

Dans un premier temps, le chantier de rénovation a porté sur la démolition des bâtiments industriels désaffectés et le mur d’enceinte entourant la tour afin de redessiner les espaces et ouvrir le site sur la ville. Un long passage de 35 mètres, fait d’assemblages de bois de chêne dont on fait les barriques, aménagé sous le bâtiment, permet désormais de relier le cœur de la cité charentaise à la maison du fondateur. Pour mener à bien le projet, Martell a fait appel aux architectes du cabinet bordelais Brochet-Lajus-Pueyot connu pour son respect de l’environnement local. C’est à cette agence que l’on doit notamment les musées de l’Orangerie et de l’Homme à Paris ainsi que les aménagements urbains du tramway à Bordeaux.

 

Cette première tranche de travaux terminée, c’est maintenant tout l’intérieur du bâtiment qui va être réhabilité. Etage par étage. La réouverture du rez-de-chaussée et du toit-terrasse est prévue pour le printemps 2018. La totalité des cinq étages, représentant 6 000 m2, devrait être accessible aux visiteurs d'ici à 2020-2021. La Maison Martell, maître d’ouvrage du projet et propriétaire du bâtiment, disposera alors de la totalité de l’écrin dans lequel elle entend déployer un espace culturel pluridisciplinaire et faire vivre des savoir-faire ancestraux.

 

Pour faire patienter le public et le mettre en appétit d’ici là, César Giron, président – directeur général de Martell Mumm Perrier-Jouët, a confié à Nathalie Viot, historienne de l’art, critique et commissaire d’expositions, la tâche d’imaginer un cheminement qui doit permettre à la fondation d’entreprise Martell d’afficher progressivement sa vocation. Une vocation qui a valeur d’un projet d’entreprise que César Giron résume ainsi: « en créant une fondation d’entreprise au cœur même de son territoire, Martell affirme son ancrage local et relève un nouveau défi : celui de faire rayonner la culture, les arts et les savoir-faire, tout en partageant ses valeurs d’excellence, de générosité et de convivialité auprès d’un large public, en France et à l’international ».

 

Une première exposition de préfiguration

 

Pour remplir sa feuille de route, Nathalie Viot a passé une première commande à l’artiste français Vincent Lamouroux. Celui-ci a conçu une oeuvre qui s’est déployée sur 600 m2 du rez-de-chaussée du bâtiment du 15 octobre 2016 au 31 janvier 2017. Produite par Less Is More Factory, cette exposition a été réalisée avec des entreprises et des artisans locaux.

Par nature, 2016

Pour préfigurer les expositions temporaires qui prendront place pendant neuf mois au rez-de-chaussée de la fondation, Vincent Lamouroux a conçu une première installation figurant un paysage minéral et végétal offrant une multitude de points de vue et d’appréhensions possibles suivant que le visiteur emprunte les passerelles pour pénétrer à l’intérieur ou reste à distance.
 Quelle que soit la voie choisie, le regardeur est happé par un paysage dunaire dont l’étrangeté est accentuée par la chaux blanche et vivante qui le recouvre, à la fois signe d’un effacement et d’un commencement.

 

 

Par nature, 2016 a été réalisée en collaboration avec les entreprises Verallia et la tonnellerie Leroi, partenaires historiques de la Maison Martell, ancrant le projet dans le patrimoine local cognacais, ainsi qu’avec les entreprises Roger Peinture, les pépinières Come Royale et la Mairie de Cognac. 

 

Au-delà de l’émotion ressentie par nombre d’anciens ouvriers de chez Martell revenus pour la première fois sur leur ancien lieu de travail depuis qu’il a été désaffecté, Nathalie Viot tire un bilan globalement positif de cette première expérience. « Nous avons reçu un peu plus de 3 500 personnes, indique-t-elle, ce qui n’est pas si mal pour une exposition d’hiver dans un lieu nouveau où il n’y avait qu’une seule installation à voir ». Elle en est bien consciente, du travail reste à faire mais elle sait sa chance d’avoir du temps devant elle pour expérimenter plusieurs formats d’exposition, tester d’autres temporalités et nouer des partenariats.

 

Ces partenariats sont d’autant plus importants pour Nathalie Viot que la fondation Martell doit devenir un lieu d'innovation et de recherche. Dans cette perspective, elle projette de faire venir en résidence à Cognac, dans le cadre d’un partenariat avec une institution culturelle de la région, de jeunes musiciens qui seront invités à imaginer une composition à partir des sons ressentis durant leur immersion dans ce qui fut l’ancienne usine d’embouteillage. « Nous travaillerons aussi  sur les odeurs en lien avec l'Inra et le laboratoire de neurosciences de Lyon dont les programmes de recherche sont basés sur la neuroplasticité et la neuropathologie de la perception olfactive », ajoute la directrice de la fondation Martell.

 

 

« L’exposition de Vincent Lamouroux terminée, poursuit-elle, nous fermons l’édifice pour plusieurs mois pour cause de travaux mais l’activité continue. Cet été, une nouvelle exposition se tiendra sur le parvis, devant la fondation ». Pour ce projet qui durera un an, Nathalie Viot a fait appel au duo d’architectes espagnols,  José Selgas et Lucia Cano. « Tous deux travaillent dans l’esprit du less is more qui m’intéresse beaucoup pour son ancrage dans le développement durable, l’écologie des matériaux, le recyclage, … L’idée du projet est de construire des pavillons qui préfigureront la programmation de la fondation. Un foodtruck fera par exemple écho au restaurant qui doit ouvrir au troisième étage du bâtiment en 2019. Des espaces dédiés à l’artisanat feront, eux, référence aux futurs ateliers de production qui s’installeront au premier étage de la fondation la même année ». Cette exposition devrait durer jusqu’à la fin du mois d’août 2018. Le bâtiment rouvrira les portes de son rez-de-chaussée rénové avec une exposition de designers. Le projet est là de remettre en perspective le design industriel et de « montrer, explique Nathalie Viot, à quel point le design a quitté sa vocation première de nous rendre la vie plus belle et plus facile pour s’orienter vers la production d’objets proches de l’art contemporain ».

 

Un sujet de fierté pour tous les salariés du groupe

 

Parallèlement à ce travail artistique, Nathalie Viot poursuit activement la création de la fondation d’entreprise Martell dont les statuts n’ont pas encore été déposés. Le temps d’approcher tous les futurs membres du conseil d’administration, cela devrait être fait d’ici à la fin du moins d’avril. Plusieurs personnalités étrangères siègeront à ce conseil, indique Nathalie Viot avant de commenter : « notre souhait est de rassembler des experts des disciplines que la fondation souhaite explorer et qui soient des ambassadeurs la faisant rayonner dans le plus grand nombre possible de pays ».

 

Les salariés aussi peuvent être des ambassadeurs et c’est pour cette raison que Nathalie Viot ne ménage pas ses efforts pour faire connaître et reconnaître la fondation qu’elle dirige au sein de l’entreprise Martell ainsi que dans l’ensemble du groupe Pernod Ricard dont Martell Mumm Perrier-Jouët est une filiale. « Si la dotation de la fondation vient bien de Martell, insiste-t-elle, il est important d’en faire un sujet de fierté pour tous les salariés du groupe ». Pour que les salariés de l’entreprise s’approprient la fondation Martell, elle pense ainsi les associer à sa programmation en les interrogeant sur leurs besoins en outils de travail qui pourraient ensuite être fabriqués dans les laboratoires de production de la fondation. Tous les salariés de Pernod Ricard pourront alors s’enorgueillir de travailler pour un groupe qui dispose de deux fondations culturelles défendant, l’une à Paris, l’autre à Cognac, la création et les artistes vivants. Une singulière raison d’être fier !

Zoom sur Nathalie Viot

Nathalie Viot est historienne de l’art et critique. Titulaire d’un diplôme d’études approfondies en esthétique, arts et cultures (Paris 1 - Panthéon Sorbonne), elle a été conseillère en art contemporain pour la Ville de Paris entre 2004 et 2013. Elle a co-dirigé l’accompagnement artistique du tramway T3 Est, avant de rejoindre les équipes du Mamco de Genève en tant que coordonnatrice générale des 20 ans du musée. Son parcours associe direction artistique, commissariats d’expositions, conseil, enseignement, production d’événements culturels et artistiques. Elle a également co-dirigé la galerie Chantal Crousel à Paris et produit l’émission Dialogues sur France Culture pendant quatre ans. Elle a co-fondé Less is More Factory en 2014, interface de conseils, direction artistique et production de projets culturels avec laquelle elle a mené la préfiguration de la fondation Martell. 

Yves Le Goff

 

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