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Financements innovants : une nécessité pour la sauvegarde du patrimoine français
Expertise
Le terme de « financement innovant » est utilisé pour la première fois en mars 2002 lors de la Conférence de Monterrey au Mexique et est introduite dans le débat international afin de mettre en place les Objectifs du Millénaire pour le Développement durable (les « ODD »). Il s‘agit d’initiatives qui visent à lever de nouveaux fonds ou à optimiser l'utilisation des sources de financement traditionnelles. Cependant les ODD portent principalement sur la santé mondiale, l’accès aux ressources et les enjeux climatiques, et ne prennent pas en compte la protection du patrimoine. Néanmoins, les États et les structures privées se sont inspirés des principes fondateurs des ODD afin de transposer les mécanismes de financements innovants des ODD au secteur du patrimoine.
La loterie nationale : un nouveau mécanisme de financement pour la sauvegarde du patrimoine
En France, le Loto du Patrimoine est une des initiatives de financement innovant mis en place par le Ministère de la Culture en partenariat avec la Française des Jeux et la Fondation du Patrimoine. En septembre 2018, la FDJ organise un grand loto pour la sauvegarde du patrimoine en proposant à la vente des tickets à gratter au prix de 15 €. Pour chaque « Ticket Patrimoine » acheté, la somme de 1,52 euro - soit environ 10% du prix du ticket, qui revient normalement à l’État - sera reversée à la Fondation du Patrimoine. Un Super Loto « Mission patrimoine » aura lieu le vendredi 14 septembre, à la veille des Journées européennes du patrimoine, et viendra clore cette levée de fonds atypique en France. Une participation représentant un total de 23 millions d’euros est attendue afin de permettre la restauration de 269 monuments en péril dont 18 édifices emblématiques[1]. Si c’est la première fois en France qu’une telle loterie est organisée pour la sauvegarde du patrimoine, ce mode de financement a fait ses preuves chez nos voisins européens. Depuis le début des années 1990, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume Uni ont légiféré afin qu’une partie des revenus de leur loterie nationale contribue à la restauration des monuments en péril. Notamment, l’Heritage Lottery Fund britannique, créé en 1994, a permis le soutien à 42.000 projets patrimoniaux grâce aux 7,7 milliards de livres sterling (8.6 milliards d'euros) prélevés sur les participations à la loterie nationale.[2]
Le capital de marque, vecteur de financement pour les monuments historiques
Par ailleurs, la création ou la valorisation de la marque d’un monument, permet de financer les travaux de rénovations du monument en question. Le Château de Chambord et le Palais de l’Elysée en sont des exemples récents. Ces institutions ont déposé leur marque – ou sont en passe de le faire - et souhaitent développer une gamme de produits à destination des visiteurs vendus sous la marque du monument. L’intégralité des ressources ainsi dégagées participera notamment au financement de la rénovation des locaux[3].
Le Ticket mécène, un exemple de générosité embarquée à suivre
Le « Ticket mécène » mis notamment en place par le Musée d'art contemporain de Bordeaux (CAPC) et la Piscine de Roubaix, peut servir d’inspiration pour financer la protection du patrimoine. Le Ticket mécène est un dispositif de mobilisation du public pour l'enrichissement des collections du musée. Les visiteurs désireux de participer à l'opération Ticket Mécène peuvent, en complément de leur billet d'entrée, contribuer pour au moins quelques euros à l'acquisition d’une œuvre sélectionnée pour intégrer la collection du musée. En ce qui concerne le CAPC de Bordeaux, pour chaque euro collecté, l’Association des Amis du CAPC abonde, ce qui démultiplie l’impact du don des visiteurs-donateurs. Rien n’empêche qu’une telle initiative soit développée pour la protection des monuments historique.
L’abondement des dons par les entreprises mécènes
De manière générale, l’abondement des dons du public par les entreprises mécènes apporte également une nouvelle source de financement pour la sauvegarde du patrimoine. On peut citer par exemple l’initiative du Fonds de Dotation Transatlantique pour la restauration des verrières de l’église Saint-Philippe-du-Roule à Paris ou celle du Crédit Agricole pour la restauration du grand salon du théâtre de Chambéry.
Le Crowdfunding, un financement plébiscité pour la sauvegarde du patrimoine
Ces dernières années, l’abondement des dons s’est développé parallèlement au financement participatif, dit crowdfunding. L’usage du crowdfunding s’est répandu après la crise financière de 2008 en réponse aux difficultés des entreprises pour lever des fonds. Le crowdfunding peut prendre plusieurs formes : par don, par don avec récompense, par prêt et par souscription de titres. Les deux premières formes de financement sont fréquemment utilisées dans le domaine de la sauvegarde du patrimoine. Ainsi, en 2017, 2.584.314 € ont été récoltés par ce moyen pour la restauration du patrimoine français, par des plateformes privées de crowdfunding. 105 campagnes sont arrivées à leur terme, et 64 d’entre elles ont atteint leurs objectifs[4]. De nombreuses « récompenses » sont imaginées par les propriétaires des monuments à restaurer pour inciter aux dons. Selon la somme versée, la récompense aux dons peut consister en l’accès à la visite privée des lieux ou à la disposition du bâtiment pour une réception privée. En parallèle, les institutions publiques lancent elles aussi leur campagne de financement pour la restauration des monuments. Un des derniers projets ayant connu un fort succès est celui de la rénovation de l’escalier du Château de Fontainebleau. La campagne de financement proposait aux donateurs, particuliers comme aux entreprises, de parrainer l’une des 92 marches de l'escalier ou l’une des 8 sphères d'ornement. En récompense, le nom des donateurs a été ensuite gravé sur un escalier virtuel.
Le crowdfunding par souscription de titres se développe petit à petit en faveur de la protection du patrimoine. S’il est vrai que cette modalité de levée de fond fonctionne très bien pour le développement des entreprises, elle n’est pas incompatible avec la protection du patrimoine. À ce titre, il est intéressant de s’inspirer du modèle de Dartagnans, qui a consisté à constituer une société comprenant 25.000 associés-donateurs, pour financer la rénovation du Château de la Mothe Chandeniers. Ainsi, 1.613.340 € ont été collectés pour les rénovations. L’incitation au don est ici évidente : chaque donateur devient associé d’une société propriétaire du Château. Une initiative similaire a été lancée pour la sauvegarde du parc et des dépendances. Le recours au financement participatif selon une telle modalité est particulièrement opportun pour le financement de la restauration des petits châteaux privés, qui nécessitent bien souvent de grands travaux de restauration, très onéreux pour les propriétaires.
La blockchain : un nouveau moyen de financer des projets culturels
Enfin, la technologie blockchain fourni de nouvelles possibilités en matière de financement, notamment par le biais des ICOs. Une ICO (Initial Coin Offering) est une méthode de levée de fonds reposant sur l’émission d’actifs numériques – les tokens - échangeables contre des cryptomonnaies durant la phase de démarrage d’un projet.. Ce nouveau mécanisme de financement, qui devrait faire l’objet d’un cadre dans la future loi PACTE, présente un attrait indéniable pour les entreprises qui souhaitent lever des sommes importantes en très peu de temps. Inutilisé dans le domaine de la culture et de la protection du patrimoine, on peut imaginer prochainement le développement en France d’ICOs à cet effet, comme c’est déjà le cas avec la plateforme autrichienne
Julie-Joy Agaësse
[2] Vincent Michelon : Un loto pour sauver le patrimoine : une mesure déjà appliquée dans plusieurs pays, LCI, 31 mai 2018
[4] Club Innovation et Culture, Baromètre des campagnes de crowdfunding achevées en 2017, 2 janvier 2018