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[Dossier Théâtre] Le développement du mécénat des particuliers

Expertise

Soutenue en 2016 par la Fondation Jacques Toja, la pièce Qui a peur de Virginia Woolf a largement été récompensée. Prix Laurent Terzieff du meilleur spectacle de théâtre privé 2016. Molière 2016 du metteur en scène d’un spectacle de théâtre privé attribué à Alain Françon. Wladimir Yordanoff, Molière 2016 du comédien d’un spectacle de théâtre privé. Dominique Valadié, Prix de la meilleure comédienne décerné par le syndicat de la critique.
Dans un contexte économique et politique difficile, les institutions ne cessent de redoubler d’imagination pour récolter des financements et assurer la qualité de leurs productions. De nombreuses initiatives sollicitant les particuliers voient ainsi le jour, ces derniers devenant un acteur à part entière du mécénat culturel…

Dès sa création en 1983, la Fondation Jacques Toja pour le théâtre a fédéré entreprises et particuliers autour du soutien à la création. « Le mécénat des particuliers a connu une augmentation de 25% entre 2015 et 2016 » souligne Virginie Licastro, sa directrice. Reconnue d’utilité publique, il est vrai que la fondation, qui porte le nom du comédien disparu en 1996, peut recevoir les dons ISF des particuliers. Une manne que vise aussi désormais la Fondation pour la Comédie Française. 

 

A l’Opéra de Paris, c’est aussi le mécénat des particuliers et celui des fondations familiales, comme par exemple la Fondation Bettencourt Schueller,  qui s’est surtout développé ces dernières années. Arrivé à la tête de l’institution il y a trois ans, Stéphane Lissner sait attirer l’attention des mécènes sur ses nombreux projets. Du côté des institutions, un exemple concerne la douzaine d’avant-premières proposées aux jeunes de moins de 28 ans à 10 euros la place. L’initiative a beaucoup plu à la fondation BNP Paribas qui, du coup,  a renforcé son soutien. Du côté des mécènes individuels, une autre initiative toute récente est de faire adopter des fauteuils du Palais Garnier par des généreux bienfaiteurs. « L’intérêt de nos mécènes pour l’Opéra de Paris est le fruit d’un travail patient », explique Jean-Yves Kaced dont les équipes s’emploient à entretenir une chaîne vertueuse qui veut qu’un spectateur occasionnel peut devenir un spectateur régulier puis un abonné, voire un mécène.

 

Pauline Rouer, pense que le développement du mécénat des particuliers, net depuis deux ans, va encore se renforcer. « Il y a trois ans, le mécénat des particuliers représentait à peine 5% de nos ressources de mécénat. C’est presque 20% aujourd’hui » souligne la directrice du mécénat du Théâtre de l’Odéon, qui ajoute : « bien des particuliers parmi nos spectateurs souhaitent accompagner des projets visant à transmettre le goût du théâtre aux nouvelles générations, notamment celles éloignées de la culture. C’est pour répondre à ce souhait que nous prévoyons de renforcer encore nos programmes de fidélisation et d’animation du mécénat individuel ». Les idées ne manquent pas. Le Théâtre de l’Odéon a été le premier théâtre national à lancer une opération de financement participatif.

 

Persuadée de la maturité croissante des spectateurs sur leur rôle dans le financement de la culture, la Fondation Jacques Toja a, de son côté, mis en place une campagne de mécénat participatif afin d’associer le public à la création du Prix Fondation Jacques Toja pour le théâtre. Seul problème, ces opérations sont chronophages car nécessitant un long travail de pédagogie tant le fonctionnement d’une salle de théâtre et son modèle économique demeurent méconnus.

 

Apprivoiser le risque lié à la création

Parallèlement à la pédagogie, c’est aussi la confiance qu’il faut susciter puis entretenir. Une autre nécessité dévoreuse de temps et de moyens humains.

Virginie Licastro appuie ses propos : « c’est aux porteurs de projets de trouver la manière et les moyens de rassurer les mécènes, de leur donner confiance pour, progressivement, les faire glisser de l’accompagnement de projets patrimoniaux ou d’éducation artistique vers le soutien de la création ». Elle reconnaît que l’inquiétude des mécènes est compréhensible car l’univers du théâtre leur est bien souvent étranger. Et ce n’est donc qu’au fil du temps qu’on peut leur faire toucher du doigt et comprendre la réalité et les besoins du théâtre.

 

Pour mettre en œuvre ce constat, le Théâtre de l’Odéon a créé un cercle dont le concept semble gagner de plus en plus de porteurs de projets actifs dans le domaine du spectacle vivant. Créé lorsque Luc Bondy est arrivé à la tête de l’établissement en 2012, le Cercle de l’Odéon réunit des entreprises et des particuliers désireux de soutenir quatre créations par saison. Pour fidéliser et familiariser ces mécènes avec les projets de l’Odéon, Pauline Rouer a initié des rencontres qui leur permettent d’échanger avec les artistes et l’équipe dirigeante du théâtre à l’occasion de chacune de ces créations. « Ces échanges entre acteurs économiques et acteurs culturels sont des moments rares et précieux, explique-t-elle. Ils permettent à nos mécènes de se rendre compte de la diversité et de la richesse des univers artistiques que nous leur proposons».

 

Marie-Claire Janailhac-Fritsch, présidente de la Fondation pour la Comédie Française, pense également qu’il est souhaitable de rapprocher le théâtre et l’entreprise tant les deux univers ont à apprendre l’un de l’autre. « Aujourd’hui, si les entreprises connaissent relativement bien l’univers des arts plastiques et celui de la musique, elles ignorent presque tout de ce que le théâtre peut apporter à l’entreprise, explique-t-elle. Bien des pièces de théâtre sont pourtant une source inépuisable de lectures et de réflexions sur les comportements humains et les comportements sociaux. A l’heure où le monde est en quête de sens, l’entreprise a de multiples raisons de se rapprocher du théâtre », conclut Marie-Claire Jainalhac-Fritsch.

 

Rapprocher les univers, c’est aussi l’objectif de l’Opéra de Paris qui a déployé, un peu à l’anglo-saxonne, différents cercles de mécènes qui s’intéressent chacun à un point particulier de la programmation de l’institution. Le Cercle Berlioz regroupe ainsi des mécènes qui s’intéressent à la musique française du XIXème siècle et qui souhaitent redonner à cette musique un peu méconnue la place qu’elle mérite en soutenant de nouvelles productions. Autre exemple, le ballet a donné naissance à la création d’un cercle autour d’Aurélie Dupont. Membre du cercle de l’Académie, Natixis y puise pour sa part des leçons pour la gestion de ses talents internes en observant comment différents corps de métiers évoluent au sein de l’Opéra. « Tous ces cercles, explique Jean-Yves Kaced, permettent d’augmenter les ressources propres de l’Opéra de Paris qui a vu ses subventions annuelles diminuer de dix millions d’euros ». A l’intérieur des ces cercles, les mécènes sont animés par une autre logique que la seule recherche d’une quelconque visibilité. La proximité avec les artistes et le partage d’une communauté d’intérêts y prend le pas sur la dictature du logo.

 

Aux Bouffes du Nord, le Cercle des Partenaires a pareillement un objectif collectif : le rayonnement de ce lieu mythique auprès de grands donateurs, d’entreprises et de fondations en soutenant la création d’œuvres théâtrales et lyriques et leur diffusion au plus large public possible.

 

 

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