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[DOSSIER] Pour une stratégie de financement repensée – Art. 1 : les frais de fonctionnement

Comptes-rendus d’événements

À l’occasion du Mécènes Forum organisé par Admical les 24 et 25 novembre 2020, Céline Laurichesse et Dorothée Corbier, directrices associées de l’agence conseil Assemble, ont animé un atelier baptisé “Pour une stratégie de financement repensée : frais de fonctionnement, mesures d’impact et (re)structuration”. Voici le premier volet d’un compte-rendu en trois articles qui traiteront chacun d’une de ces trois thématiques.

Construit autour d’exemples très concrets, l’atelier avait pour vocation de montrer qu’il est possible de sortir d’une logique de financement exclusif des frais directement liés à des projets pour prendre en considération des enjeux plus larges, dont dépendent justement la viabilité de ces projets.

Paradoxalement, la société n’a jamais eu autant besoin de ses acteurs d’intérêt général et ceux-ci n’ont jamais été autant en difficulté qu’aujourd’hui, comme le montrait l’étude menée par Le Mouvement associatif dès juin 2020. La crise actuelle leur impose des défis supplémentaires qui les forcent à s’adapter pour répondre à des besoins qui explosent, dans un contexte inédit. Qu’il leur faille par exemple développer des outils digitaux, lutter pour maintenir leurs effectifs, former de nouveaux bénévoles, augmenter leur capacité à faire en agrandissant leur locaux ou en achetant du matériel… la situation invite plus que jamais les mécènes à s’interroger sur la nature de ce qu’ils financent. Or, dans les faits, les acteurs du mécénat peuvent être frileux à l’idée de couvrir des dépenses qui ne sont pas directement liées aux projets. Les freins peuvent être divers : crainte de rendre le porteur de projet trop dépendant de son mécène, de s’éloigner des objectifs d’impact, de ne pas pouvoir communiquer sur des résultats tangibles et quantifiables…


Pourtant, toute structure d’intérêt général doit assumer des frais de fonctionnement courant : frais de gestion, de logistique, de communication ou encore de collecte, loyers ou prêts immobiliers, salaires, charges… Car sans salariés, sans locaux, sans déplacements, sans matériel de tout ordre, il n’y a pas de projets possibles, ou leur impact n’est pas optimal.

Alors comment concilier la liberté d’affecter ses fonds avec la réponse aux besoins réels des porteurs de projets ? Voici quelques exemples très concrets de mécènes qui ne s’interdisent pas de financer autrement et l’ont même parfois intégré à leur stratégie.

 

3 exemples de financement de frais courants

> La Caisse des Dépôts et Consignations

La Caisse des dépôts accepte de financer des frais de fonctionnement liés aux projets dans tous ses programmes de mécénat (musique classique, danse, architecture et paysage). Ainsi, par exemple, lorsqu’elle soutient de jeunes ensembles musicaux et instrumentaux, elle ne flèche pas ses financements exclusivement sur la programmation. Elle couvre depuis longtemps des frais de fonctionnement sans lesquels les représentations ne peuvent pas avoir lieu.

Pour ne pas mettre les porteurs de projets soutenus en situation de dépendance vis-à-vis d’elle, elle verse des dotations financières qui ne peuvent excéder un certain pourcentage du budget annuel de la structure, à l’instar par exemple de ce que pratiquent certaines entreprises vis-à-vis de leurs fournisseurs pour ne pas les fragiliser. Pour la même raison, “le contrat est très clair dès le départ : quand la Caisse de Dépôts soutient un ensemble, elle lui dit qu’elle est là sur du long terme (jusqu’à 5 ans) mais que ça va s’arrêter un jour. A partir de la 3ème année, elle réduit son soutien financier et demande à la structure bénéficiaire d’aller en chercher d’autres en complément. Elle prépare ainsi sa sortie de manière responsable”, explique Sylvie Roger, directrice du Mécénat Groupe Caisse des Dépôts.

Pour elle, ce type de financement n’est par ailleurs pas un frein à la communication : au contraire, en accord avec les porteurs de projets, elle peut parler de toutes les initiatives menées puisque le financement de frais de fonctionnement bénéficie pour partie à l’ensemble des projets.

> Le Fonds d’innovation sociétale AG2R La Mondiale

Dès sa création, le Fonds d’innovation sociétale AG2R La Mondiale a choisi le financement global des structures (recrutements, locaux, prestations …) et pas seulement celui des projets. Il s’inscrit aussi dans un soutien sur un temps long puisque ses conventions sont signées pour 3 ans.

La gouvernance a été convaincue de ces choix par le témoignage des porteurs de projets accompagnés, illustrant ce qui était rendu possible concrètement et rassurant sur le fait que l’investissement portait ses fruits. Pour Marielle Del’Homme, responsable du Fonds d'innovation d'AG2R La Mondiale : “on sait que les frais sont surtout des frais de richesse humaine. On peut flécher sur de l’opérationnel, mais si on veut vraiment aider les porteurs de projets dans leur développement il faut un financement global. Il ne faut pas se cacher derrière l’analytique ou la présentation en mode projet et revenir aux basiques : les structures d’intérêt général, pour pouvoir développer leurs projets, ont des besoins de tout ordre et de tous niveaux.” Par ailleurs, si la communication est l’un des freins pour certains mécènes, sa conviction est qu’il est tout aussi respectable d’être celui qui soutient le fond de l’activité que l’activité elle-même. Et que cela aussi se raconte, autant que les projets, sous réserve de faire ce travail éditorial main dans la main avec les porteurs.

> La Fondation Identicar

La Fondation Identicar soutient des structures qui portent des initiatives de mobilité solidaire qu’elle sélectionne par le biais d’un appel à projets annuel. Le fléchage de la dotation ne fait pas partie de ses critères de sélection ni d’éligibilité. C’est l’essence même du projet associatif qui prime, c’est-à-dire le périmètre d’action et les bénéficiaires.

 

Si certains candidats envoient un dossier avec une prévision précise d’affectation des fonds, Olivia Féré, Déléguée générale, constate que la plupart du temps, lors des premiers échanges sur un potentiel soutien, ils lui demandent spontanément ce sur quoi la Fondation souhaiterait flécher son financement. Elle leur explique alors que le fléchage n’est pas un sujet, tant que les fonds sont utilisés dans l’intérêt de la structure et de ses projets.


Cette absence de fléchage n'exclut pas pour autant le besoin de reporting. La Fondation Identicar demande ainsi aux organismes soutenus :

  • en amont, comment ils ont l’intention d’utiliser la dotation et en quoi cela va répondre à leurs objectifs vis-à-vis des bénéficiaires finaux ;
  • puis, à l’issue du partenariat, à quoi ont servi les financements dans les faits et les résultats obtenus.
     

Elle accepte donc que le besoin ait pu changer en cours de route, tant que la structure d’intérêt général a atteint ses objectifs de résultats. Pour Olivia Féré, cette posture “instaure un vrai lien de confiance. Si un porteur de projet sent qu’il peut vraiment vous parler de sa fragilité financière et que vous êtes convaincu de l’impact que vous pouvez avoir, alors vous instaurez un vrai partenariat. Par conséquent, l’aide est encore plus adaptée aux besoins de la structure et c’est là que la Fondation Identicar se sent vraiment utile.” Lorsqu’elle a demandé aux lauréats de son premier appel à projets, un an après, comment les fonds avaient été utilisés, 40 % les avaient utilisés pour couvrir des salaires, frais de déplacements ou locations de bus et 60 % pour investir dans des équipements ou des véhicules.

Concernant la communication, la Fondation Identicar raconte comment elle soutient ses bénéficiaires et, quel que soit le fléchage précis des fonds, cela ne l'empêche pas de parler du ou des projets que cela rend possible(s). Pour Olivia Féré : “Il suffit d’être au clair avec la structure bénéficiaire sur l’histoire qu’on raconte ensemble.”

 

Quels enseignements tirer de ces partages d’expérience ?

Concrètement, il apparaît que :

  • l’échange avec les structures d’intérêt général est indispensable pour comprendre l’écosystème et le fonctionnement qui leur permet de poursuivre leur projet global ;
  • ces modalités de financement doivent s’inscrire dans une relation de confiance et de transparence mutuelle, qui passe par l’ouverture du dialogue avec les porteurs de projets, car bien souvent ils n’osent pas le faire eux-mêmes pour ne pas risquer un refus ;
  • financer des frais de fonctionnement n’interdit pas de s’interroger sur leur ratio dans le budget global de la structure soutenue, notamment pour prévenir d’éventuels risques de fragilité financière ;
  • les opérationnels du mécénat ont un rôle à jouer en nourrissant l’échange avec leur gouvernance, exemples concrets à l’appui, pour lever leurs réticences éventuelles ;
  • ce type de soutien peut être raconté en communication, moyennant une posture assumée et partagée avec la structure soutenue.

 

Céline Laurichesse, Dorothée Corbier

 

 

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