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La philanthropie européenne, force de disruption et de collaboration

Paroles de mécènes

Les Fondations Edmond de Rothschild, très actives au niveau international, soutiennent des programmes ambitieux à fort impact. Comment ces fondations familiales peuvent-elles participer au développement d’une philanthropie européenne ? Eléments de réponse avec Firoz Ladak, CEO des Fondations Edmond de Rothschild.
 
 
Les fondations familiales ont-elles plus de liberté pour agir de manière transnationale que les entreprises ?

Crise des réfugiés, éducation, accès à la santé, inclusion, changement climatique, violences urbaines, désertification rurale… Pour faire face aux grandes problématiques de société qui touchent l’Europe d’aujourd’hui, tant les fondations familiales que de nombreuses entreprises cherchent à nouer des alliances à l’échelle locale et transnationale.

Formidable laboratoires d’idées, les fondations familiales sont un espace de liberté et de créativité. Beaucoup d’entre elles se perçoivent comme un vecteur unique d’innovation sociétale, où passion rime avec  professionnalisme et impact. Le mécénat d’entreprises connaît lui aussi une transformation notoire où l’investissement social va au-delà de la communication et se conjugue avec économie positive,  valorisation des métiers, engagement des salariés ou bénéfice territorial. Ce sont là deux modèles différents, néanmoins complémentaires.

"Formidable laboratoires d'idées, les fondations familiales sont un espace de liberté et de créativité".

Le mécénat d’entreprise et la philanthropie familiale jouent un rôle majeur dans l’émergence et le déploiement de solutions nouvelles. Par leur exigence, leurs méthodes et leurs moyens , ils rendent possible ces initiatives porteuses de progrès social, au cœur d’une période charnière marquée par l’essoufflement de l’Etat, tant en France qu’en Europe.   

Une approche convergente doit cependant être davantage développée, fédérant autour de mêmes objectifs  différentes parties prenantes tels les pouvoirs publics, le secteur privé et société civile. C’est le pari que font les Fondations Edmond de Rothschild  guidées par la conviction que seul cet engagement commun peut apporter des solutions pérennes.

 

Lorsque fondations familiales et entreprises mécènes sont partenaires, comment coordonner l’action, alors que les contraintes sont différentes ?

Une capacité accrue de rassembler les  moyens d’action entre entreprises mécènes et fondations familiales est cruciale pour répondre aux défis majeurs de tous les domaines de l’intérêt général. 

Ce type de partenariat reste hélas encore trop rare. La philanthropie familiale véhicule des valeurs fortes, distinctes et indépendantes. Se situant sur le champs de l’investigation et de l’adaptation, elle peut réunir des acteurs multiples dont les compétences se retrouvent autour d’un même projet. Cette aptitude au dialogue, quand elle réussit à dépasser les intérêts individuels, est aussi rendue possible parce qu’elle se situe hors du champ commercial. Bâtir des initiatives communes est source d’un incroyable enrichissement mutuel et le moyen de développer ensemble une philanthropie engagée.

 

Un modèle de philanthropie à l’européenne est-il envisageable, ou même nécessaire ? Pourquoi ?

En Europe, la philanthropie se doit d’être force de disruption et de collaboration. Son rayonnement stratégique se développe à des rythmes différents, tributaires de contrastes historiques, culturels et économiques. Il n’y a ainsi pas véritablement de philanthropie européenne, mais plutôt un esprit particulier où le don, qu’il émane d’une volonté familiale ou résulte d’un mécénat d’entreprises, doit chercher des alliances et composer avec l’Etat pour atteindre une démultiplication de son impact.

"Il n’y a ainsi pas véritablement de philanthropie européenne, mais plutôt un esprit particulier où le don, qu’il émane d’une volonté familiale ou résulte d’un mécénat d’entreprises, doit chercher des alliances et composer avec l’Etat pour atteindre une démultiplication de son impact."

Pour autant, cette philanthropie n’est pas encore structurée à l’échelle du continent. Les collaborations transfrontalières entre fondations de l’Union européenne sont insuffisantes, comme en témoigne la réponse désordonnée et indigne face à la crise actuelles des migrants et des réfugiés. Sans compter l’absence flagrante d’un régime fiscal cohérent et stable, lui-même sujet à des considérations politiques court-termistes. Le résultat est la quasi absence d’un leadership européen sur la scène internationale. Or, l’Europe des fondations pourrait se prévaloir d’une singularité et d’une position d’avant-scène sur les grands enjeux du millénaire, eu égard à son poids économique et géopolitique, pour être plus audible, visible et convaincante.

Il est temps de dépasser cette dynamique morcelée et de donner à l’engagement sociétal une réalité sur l’ensemble des pays européens. Cette philanthropie doit comprendre qu’elle peut investir les territoires, en osant, en innovant et en construisant le changement. Elle trouvera sa pleine légitimité aux côtés d’autres acteurs tout aussi indispensables, tels l’Etat, la société civile et le secteur privé. C’est dans cette convergence au service de l’intérêt général que l’exemple européen, uni malgré ses différences, peut inspirer le monde.

 

Auriez-vous quelques exemples de points de convergence et de divergence dans la pratique de la philanthropie que vous avez pu identifier dans les différents pays où les Fondations Edmond de Rothschild interviennent ?

Fidèles à leurs valeurs reposant sur engagement social, inclusion et collaboration, les Fondations Edmond de Rothschild construisent des modes d’intervention inédits allant de l’expérimentation au changement d’échelle, voire contribuent au développement de politiques publiques dans les arts, l’entrepreneuriat et le domaine médical. 

A Paris, à Madrid, Lisbonne ou Genève, elles puisent leur inspiration dans un réseau philanthropique unique et fertile, où chacun des modèles bâti à l’échelle locale trouve un écho ailleurs et vient renforcer la théorie du changement et la force de proposition qui les caractérisent. Elles développent des alliances au-delà de frontières géographiques, sociales, idéologiques ou religieuses. C’est ainsi qu’elles s’inscrivent pleinement dans la France et l’Europe des Lumières. 

 

 

Propos recueillis par Diane Abel

 

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