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Quels mondes en 2030 ?
Comptes-rendus d’événements
Face à l’urgence écologique, le creusement des inégalités et l’instabilité du monde, l’Agenda 2030 de l’Onu trace une feuille de route, avec des objectifs à atteindre, pour parvenir à un futur souhaitable et soutenable. Les États, l’ensemble de la société civile doivent se mobiliser. Mais quel monde souhaitons-nous partager demain ? Comment faire face à l’ampleur des défis à relever ?
Pour répondre à ces enjeux globaux, la feuille de route fixée par l’ONU propose 17 Objectifs de Développement Durable. En quoi ces ODD peuvent-ils permettre de parler un langage commun ? Comment peuvent-ils contribuer à faire s’articuler les initiatives des associations, des entreprises et de l’Etat ?
La dispersion des initiatives face à la dégradation rapide de l’environnement
Face à la dégradation de l’environnement, Hugues de Jouvenel souligne le caractère insuffisant des innombrables actions positives, mais menées à un trop petit niveau pour s’orienter vers un développement durable, équitable, compatible avec les exigences éthiques qui figurent dans les ODD. Ces initiatives, séduisantes et bien intentionnées ne s’agrègent pas.
Bettina Laville parle des « révolutions minuscules » pour qualifier la même problématique et appelle à réfléchir sur la « grande transformation » à opérer, qui inclut la transformation de soi-même, en matière de consommation par exemple, ainsi que la transformation de la société dans laquelle on vit et des liens entre les humains qui vont être frappées par tous ces bouleversements sociaux et environnementaux.
L’articulation des initiatives de la société civile avec l’action de l’État
Selon Bettina Laville, la réalisation des ODD nécessite d’établir des liens entre les comportements individuels et les enjeux collectifs, qui pourraient notamment passer par la citoyenneté écologique.
François Moisan partage la même optique. Il faut par exemple, parvenir à un rythme de réhabilitation des logements beaucoup plus élevé, encourager des modes de déplacements avec des voitures qui émettent moins de gaz à effet de serre, opter pour une agriculture moins intensive en intrants, adopter des régimes alimentaires moins carnés. Ce sont des choix individuels où le collectif peut faire sens à un niveau microéconomique.
Mais ces options nécessitent le concours de l’Etat, des collectivités locales et du monde économique. Le financement des infrastructures, des réseaux de transports et d’électricité, du logement, ne peut se réaliser sans l’aide de l’Etat vu les montants en jeu.
Bettina Laville pense qu’il y a une sorte de « désarroi créatif » des maires devant l’ampleur des problèmes à traiter ; créatif parce qu’à cette échelle se déploient toutes sortes d’initiatives. Les responsables des collectivités locales sont bien conscients qu’ils sont en charge de faire le lien entre les révolutions minuscules, l’aspiration à une citoyenneté très active et les grands objectifs mondiaux.
L’empowerment en matière d’énergie
Pour Hugues de Jouvenel, si l’on ne veut pas que les ODD restent un objectif vertueux mais sans effectivité, l’empowerment est important. C’est en matière d’accès à l’énergie que cette approche est la plus prometteuse, selon François Moisan. En effet, le coût des énergies renouvelables a baissé de façon spectaculaire depuis une dizaine d’années, ce qui permet à des entreprises, des ONG ou des associations de terrain, d’installer des petits générateurs photovoltaïques ou des éoliennes dans des régions pauvres, qui ne sont plus obligées d’attendre que les grands réseaux d’énergie arrivent chez eux ni de compter sur les subventions des grands organismes de développement.
En France, l’approche par l’empowerment pose la question de la participation citoyenne aux projets d’énergies renouvelables. La loi de 2015 sur la transition énergétique et la croissance verte a créé les conditions économiques de cette participation citoyenne.
Depuis une dizaine d’années, l’association Énergie partagée anime, au niveau local, des réseaux territoriaux qui facilitent l’investissement de collectifs de citoyens dans des productions décentralisées d’énergies photovoltaïques et éoliennes. Nous n’en sommes pas encore au niveau de l’Allemagne mais ces projets croissent assez vite.
Les inégalités et la solidarité internationale
Marc Lévy explique que le Gret, avec d’autres organisations, a retenu deux points clé pour caractériser les ODD : leur caractère universel mais aussi le problème de la contradiction possible entre ces différents objectifs.
Ce défi d’un langage commun se pose notamment en matière de solidarité internationale. D’une logique d’aide (le Nord doit aider le Sud), elle s’achemine maintenant vers la formulation d’objectifs communs entre le Nord et le Sud. En croisant nos expériences, nous aurons peut-être une chance de renouveler nos pratiques de solidarité.
L’ODD 10 portant sur les inégalités représente un défi commun à l’échelle internationale. C’est l’un des ODD dont la réalisation peut poser beaucoup de problèmes de compatibilité avec les autres, en particulier celui de la pauvreté (ODD 1). La question de sa cohérence avec l’ODD 8, concernant la croissance économique et le travail décent, se pose également.
Le problème des inégalités est aussi un défi pour le monde associatif. Tourné pour une bonne part vers la lutte contre la pauvreté, il ne fait pas suffisamment la corrélation avec les inégalités. Certains ont quant à eux considéré que la lutte contre les inégalités posait le problème de la redistribution par l’État et était donc susceptible d’affecter l’objectif de croissance économique.
Selon Bettina Laville, le développement durable est l’un des très rares concepts universels compris avec le même sens dans l’ensemble du monde. Les ODD donnent ainsi une vision commune. Mais il faut malheureusement considérer que si la pauvreté a diminué ces dernières années, les inégalités se sont creusées et nous sommes ramenés à la question de la tension entre les objectifs.
La pertinence d'une démarche prospective
Bettina Laville indique que les ODD sont un exercice qui porte sur moins d’une génération alors que l’on sait que les années 2040-2050 sont celles de tous les risques. Si on ne va pas au-delà de quinze ans on ne peut pas constituer une vision d’avenir pour la jeunesse. Mais dans un monde incertain, est-il possible de se projeter au-delà d’une décennie ?
Hugues de Jouvenel partage l’avis selon lequel il faut avoir un point de mire lointain qui serve de fil conducteur de nos actions. La prospective, c’est à la fois partir du présent pour explorer le champ des possibles et aussi se fixer des objectifs à très long terme qui doivent nous servir à évaluer les résultats obtenus à chaque moment. Un exercice sur quinze ans n’est pas suffisant car il faudra beaucoup plus de temps pour réduire les gaz à effet de serre, maintenir le changement climatique en deçà de deux degrés, renouveler le bâti, etc.
Pour Marc Lévy, il faut se féliciter d’avoir un langage commun, car pendant longtemps, la communauté internationale ne savait pas parler d’une seule voix, ce que permettent aujourd’hui les ODD. Il faut donc saisir cette opportunité tout en ayant conscience qu’elle relève d’un défi.
François Moisan considère que le risque était grand que les ODD ne restent qu’un discours onusien et le fait de voir qu’ils font l’objet d’une réappropriation par la société civile change complètement la donne et leur confère un rôle très important.
Bastien Engelbach
Coordinateur des programmes