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Une coalition philanthropique pour l’Urgence climatique et la Justice sociale

Paroles de mécènes

Marie-Stéphane Maradeix, déléguée générale de la Fondation Daniel & Nina Carasso
L'année dernière, Marie-Stéphane Maradeix avait témoigné de l'engagement de la Fondation Daniel & Nina Carasso pour lutter contre le changement climatique et sa volonté de soutenir le développement d'une coalition philanthropique pour l'environnement. Une révolution systémique nécessaire pour répondre à un défi d'une telle ampleur. Face à la crise sanitaire actuelle, cette approche collective ne constitue-t-elle pas un modèle à répliquer ?

Il nous reste 10 petites années pour activer la transition vers un système global en mesure de limiter le changement climatique à 1,5 degré Celsius. Outre les déséquilibres environnementaux provoqués par la hausse des températures, l’impact sur les populations les plus précaires aggravera plus encore les inégalités sociales. Or, la mobilisation du secteur philanthropiques reste étonnamment faible, ne dépassant pas 3% des dons globaux affectés directement aux causes environnementales[1].

Lors de l’assemblée annuelle du Centre européen des Fondations, qui s’est tenue en mai 2019 à Paris, l’heure était à la gravité et plusieurs intervenants ont rappelé le « compte-à-rebours » de 10 années pour inverser la tendance détaillée dans le dernier rapport du GIEC publié en octobre 2018[2]. Face à cette urgence, la participation active du monde des fondations et de la philanthropie à la lutte contre le changement climatique est incroyablement faible au vu du peu de temps qu’il nous reste pour agir. Ce défi a été rappelé lors de la table-ronde du Mécènes Forum du 1er octobre sur le thème « Urgence climatique : Mécènes, mobilisez-vous ! ».

Face à ces questions, il nous faut pourtant être courageux, penser clairement les objectifs, ne pas avoir peur de prendre des risques et de faire les choses différemment.

Alors, pourquoi ne pas imaginer une coalition des acteurs de la philanthropie pour déclarer une parenthèse de dix ans dédiée à ce double défi : celui du climat et de la cohésion sociale.

 

S’engager pour soi et avec les autres pour accélérer le changement

Le secteur peut commencer son chemin par des actions simples, à sa portée :

  • Parler le langage des ODD et proposer des ODD plus exigeants afin d’inspirer une ambition renouvelée.
  • Assurer que ses programmes soient en accord avec le plan de limitation à 1,5 degré Celsius.
  • Gérer son portefeuille financier d’une manière favorable à la lutte contre le changement climatique.
  • Agir sur ses pratiques quotidiennes : locaux de travail ; déplacements ; organisation d’événements ; gestion des flux d’eau et d’énergie ; gestion des achats ; choix alimentaires, etc. 

La Fondation Daniel et Nina Carasso, sous égide de la Fondation de France, a entamé ce long travail de remise à plat de ses pratiques et de ses modes d’action. Depuis 2015, nous avions déjà engagé notre politique d’investissement en signant l’initiative Divest / Invest[3] et en initiant une politique d’impact investing. Nous travaillons aujourd’hui sur la mise en cohérence de nos programmes avec les ODD, sur nos pratiques de travail en lien avec notre bilan carbone, et sur de nouvelles ambitions en matière d’investissements durables et à impact.

Avec le changement climatique, tous les secteurs de la philanthropie sont ou vont être impactés. Si de nombreuses fondations sont déjà engagées dans ce combat, la mobilisation n’est ni suffisante, ni ordonnée.

Il nous faut agir de manière systémique, dans la durée, et en partenariat pour, à la fois : agir sur des leviers d’action concrets (ex : agroécologie ; réduction des déchets ; mobilité douce ; réduction des consommations d’eau et d’énergie, etc.) ; développer la recherche ; influencer les décideurs économiques et politiques ; changer la réglementation ; investir dans les pans de l’économie « verte » ; et enfin, mobiliser les consciences pour un changement culturel profond.

 

Favoriser une coalition philanthropique

Pour relever ces défis, il est temps que les fondations montrent leur leadership en dessinant un cadre de travail pour les dix prochaines années. Les grands réseaux de la philanthropie nationaux et européens pourraient lancer une large coalition pour identifier, avec l’aide de leurs membres et d’experts, les priorités thématiques ayant le plus d’impact et les décliner en plans d’action (ex : actions de terrain, plaidoyer, recherche, éducation, etc…). Chaque fondation pourrait rejoindre cette coalition, en s’engageant sur les 10 prochaines années à orienter tout ou partie de ses propres programmes en lien avec ces enjeux (avec un suivi rigoureux de l’impact) ; et/ou en s’alliant, selon les règles du Collective Impact, avec d’autres acteurs afin d’agir dans la durée.

Face à l’urgence climatique et aux menaces sur les grands équilibres humains, il est impératif d’agir ensemble. Même si le monde de la philanthropie ne règlera pas tous les problèmes, il a beaucoup à apporter à cet égard. Mais sommes-nous prêts à cette mobilisation d’envergure ?

 

 


[1] L’environnement n’est que la 9ème priorité des fondations françaises avec 3% du nombre des fondations engagées sur ce thème (Observatoire de la Fondation de France – 2018). Aux Etats-Unis, l’environnement est également à la 9ème place des affectations de la générosité avec 3% des dons dans la catégorie « environment / animals » (Giving USA 2018). Le centre européen des fondations publie régulièrement une étude sur les financements attribués aux causes environnementales. Le volume 4, publié en 2018 sur des chiffres de 2016, se base sur les réponses de 87 fondations engagées pour 583 millions d’euros, alors que le réseau Dafne, cité sur le site de l’EFC, établit un chiffre de 147 000 fondations en Europe pour une dépense annuelle de 60 milliards. Ces chiffres ne reflètent bien évidemment pas l’engagement total des fondations sur les questions environnementales de manière directe ou indirecte, mais leur niveau montre bien la faiblesse de la réponse philanthropique face aux enjeux.

[2] Le rapport du GIEC rappelle que la réalisation des engagements actuels dans le cadre de l’Accord de Paris, tels que présentés dans les « Contributions déterminées au niveau national », ne suffira pas à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Il souligne également que les impacts sur la santé, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l'approvisionnement en eau, la sécurité humaine et la croissance économique vont augmenter par rapport à aujourd’hui dans le cas d’un réchauffement de 1,5 °C, et plus encore dans le cas d’un réchauffement de 2 °C.

[3] Divest Invest est un réseau mondial diversifié composé de particuliers et d’entreprises unis par l’idée qu’en utilisant l’influence collective des investisseurs pour abandonner les combustibles fossiles et pour investir dans des solutions climatiques, nous pouvons accélérer la transition vers une économie zéro carbone. 

 

 

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