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Le mécénat des Galeries Lafayette : une authentique identité culturelle

Paroles de mécènes

Mathieu Peyroulet-Ghilini et Laureline Galliot investissent les vitrines des Galeries Lafayette Maison & Gourmet Paris, 2015. ©Galeries Lafayette
Depuis 120 ans, les Galeries Lafayette poursuivent leur développement dans un contexte familial, en cultivant les valeurs qui ont présidé à leur naissance : la rencontre de la création et du commerce pour tous. Grâce à cette détermination, le groupe réalise aujourd’hui 3,8 milliards d’euros de vente au détail par an dans 280 magasins qui accueillent un million de visiteurs par jour. Devenu un médiateur écouté et recherché par les artistes, les jeunes créateurs et le public, le groupe a structuré son soutien à la création artistique émergente en instituant en 2010 une direction du mécénat qui cohabite depuis 2013 avec une fondation d’entreprise et un fonds de dotation. Explications avec Florence Brachet Champsaur, directrice du Patrimoine et des Archives historiques du groupe Galeries Lafayette et responsable du mécénat à la direction du Mécénat.

Comment s’est développée la culture du mécénat dans le groupe Galeries Lafayette?

C’est une longue histoire qui s’inscrit dans une entreprise familiale qui appartient toujours à la famille de l’un des deux fondateurs, Théophile Bader1. On ne parlait sans doute pas de mécénat dans les mêmes termes qu’aujourd’hui, mais ce qui est certain c’est que dès le début des Galeries Lafayette s’est développée dans l’entreprise une relation de proximité avec les artistes. On peut considérer comme acte fondateur de cette relation les travaux d’agrandissement de 1912, la construction de la coupole du navire amiral du boulevard Haussmann, à Paris, et la commande faite à deux artistes majeurs de l’Ecole de Nancy, Louis Majorelle et Jacques Grüber. Quinze ans plus tard, Théophile Bader qui a acheté l’hôtel particulier de Massa sur les Champs Elysées, le fait démonter pierre par pierre puis reconstruire dans les jardins de l’Observatoire avant d’en faire don à la Société des gens de lettres. Retournement de l’histoire, c’est sur ce même emplacement des Champs Elysées où Théophile Bader rêvait d’inaugurer un nouveau style de bâtiment dédié au commerce et à l’hôtellerie, mais dont aura raison la crise de 1929, qu’ouvrira en 2018 un nouveau magasin des Galeries Lafayette, d’un concept complètement nouveau.

Pour parler de la politique de mécénat actuelle, je suis, pour ma part, entrée dans le groupe en 2008 pour créer la direction du Patrimoine. Sous l’impulsion de Guillaume Houzé, nous avons créé la direction du Mécénat en 2010 dans le but d’organiser et pérenniser toutes les actions de mécénat existantes et en développer de nouvelles, qu’il s’agisse de nos soutiens à des institutions culturelles ou à des artistes.

 

L’ouverture du nouveau magasin sur les Champs Elysées sera-t-elle accompagnée d’un geste artistique fort ?

Nous sommes encore très en amont de ce projet qui dépasse d’ailleurs le périmètre du mécénat ! Le curetage du bâtiment a à peine commencé. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il s’agira d’un format inédit pour les Galeries Lafayette, d’un concept de magasin très différent de celui que l’on connaît. Les Galeries Lafayette ont fait un choix ambitieux pour le lieu en confiant l’aménagement à l'agence d'architecture danoise BIG (Bjarke Ingels Group). Il est possible que nous invitions également un artiste à concevoir un projet in situ.

Ci-contre : Tania Mouraud investit les vitrines des Galeries Lafayette de Metz, 2015. ©Galeries Lafayette

 

Quel est aujourd’hui le rôle du mécénat dans le projet entrepreneurial du groupe ?

L’industrie de la mode, cœur de métier des Galeries Lafayette, dépend largement de la création dont l’énergie anime le groupe tout entier. Le mécénat culturel du groupe qui s’engage pour soutenir, valoriser et donner accès à la création, se trouve en cohérence avec le projet de l’entreprise. C’est ainsi tout naturellement que le groupe est devenu mécène du Palais Galliera et du musée des Arts décoratifs, deux institutions majeures du système de la mode à Paris. Avec des temporalités différentes, le grand magasin et le musée de la mode partagent une même approche curatoriale : ils sélectionnent et mettent en scène pour offrir le meilleur de la création à leurs publics. Pour promouvoir la mode de demain, le partenariat qui lie depuis 2009 la villa Noailles à Hyères, aux Galeries Lafayette, est exemplaire. Chaque année, se déroule au mois d’avril, dans le cadre du Festival International de Mode et de Photographie à Hyères, un concours destiné à faire émerger de nouveaux talents. Non seulement le groupe est mécène de cette manifestation mais depuis trois ans, nous avons développé une collaboration entre l’un des finalistes du concours et la marque Galeries Lafayette afin de créer ce qu’on appelle dans notre métier une capsule, c’est-à-dire une  collection limitée qui est ensuite vendue dans les principaux magasins de l’enseigne et sur le site en ligne. Au-delà du soutien financier apporté à la villa Noailles, l’idée est de prolonger ce soutien et de le faire vivre dans l’entreprise. Le lien se fait de deux façons. D’une part en donnant à un jeune créateur la possibilité d’accéder à un réseau comme celui des Galeries Lafayette et de pouvoir compter sur des professionnels qui l’accompagnent et le guident dans l’élaboration de cette mini-collection. D’autre part en offrant à nos collaborateurs l’opportunité de s’imprégner de l’énergie créative de jeunes créateurs.

Pour citer un autre engagement qui nous tient à coeur, nous sommes aussi mécènes de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode, l’ANDAM, grâce a laquelle nous prenons une part active au concours qui s’adresse à des créateurs établis depuis quelques années. Ce prix, l’un des mieux dotés du secteur de la mode, constitue une opportunité unique pour les lauréats. Nos équipes accompagnent et conseillent ensuite le lauréat du Prix des Premières Collections dans la gestion et le développement de sa jeune entreprise. L’idée est là encore de dépasser le don financier et d’enrichir le geste de mécénat par une relation qui se prolonge et crée des synergies avec les professionnels de la mode qui travaillent aux Galeries Lafayette qui vont continuer à aider ces jeunes créateurs. De tels projets illustrent bien comment notre politique de mécénat culturel est pertinente pour soutenir la création de demain tout en nourrissant le projet de l’entreprise et en créant du lien avec les collaborateurs qui adhèrent à nos engagements.

 

Déployez-vous aussi ce type d’initiatives à l’étranger?

Compte tenu de l’implantation du groupe Galeries Lafayette, nous avons vocation à soutenir des projets en région et à l’international. Nous avons ainsi été mécènes de Documenta 13, à Kassel, en Allemagne, une manifestation phare du monde international de l’art, et du French May à Hong Kong à l’occasion d’une récente édition de ce festival.

 

Votre soutien de Xavier Veilhan lors de la prochaine Biennale de Venise entre-t-il dans cette stratégie internationale?

Tout à fait même s’il s’agit avant tout de soutenir un artiste, Xavier Veilhan, dont le groupe est  proche depuis plus de dix ans. Nous l’avons accompagné en 2009 lors de  son exposition à Versailles (Veilhan Versailles). En 2014, il a été  invité à la Galerie des Galeries, l’espace culturel au premier étage du magasin d’Haussmann, pour concevoir l’exposition On/Off. Lafayette Anticipation, la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette, a réalisé un film dans son atelier dans le cadre de la série Modern Studios et l’a également invité pour un court métrage chorégraphique . En 2016, pour célébrer la transformation du nouveau magasin des Galeries Lafayette dédié à l’Homme, nous avons inauguré ensemble une nouvelle installation permanente, baptisée Light Machine. C’est l’œuvre la plus grande qu’il ait jamais produit. Il était donc naturel pour le groupe de l’accompagner dans cette nouvelle étape de son parcours et de faire rayonner la création française dans ce rendez-vous phare de l’art contemporain.

 

Comment s’articulent la direction du mécénat du groupe, la fondation d’entreprise Galeries Lafayette et le fonds de dotation Famille Moulin ?

Guillaume Houzé, tout à la fois directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette et du BHV Marais et président de Lafayette Anticipation – Fondation d'entreprise Galeries Lafayette, assure la cohésion des différents dispositifs mis en oeuvre pour soutenir la création artistique contemporaine. Chacun de ces dispositifs a un objectif précis et une ambition pluridisciplinaire, ouverte sur l’art, la mode et le design. La direction du mécénat soutient essentiellement des institutions culturelles, notamment par le parrainage d’expositions. En 2016, le groupe est fier d’avoir accompagné le Centre Pompidou en rendant possible l’exposition de Jean-Luc Moulène, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris pour l’exposition Carl André ou encore le musée des Abattoirs-Frac Midi-Pyrénées à Toulouse pour sa programmation culturelle. Outre les expositions, rencontres et conférences qu’elle accueillera, la fondation est structurée autour de son activité de production, qui la distingue des autres structures en France. Quant au fonds de dotation Famille Moulin, créé en 2013, il accueille 200 œuvres et autour d’un comité consultatif, continue d’enrichir la collection constituée depuis 2005 avec passion par Guillaume Houzé et sa grand-mère Ginette Moulin. S’il est possible que certaines œuvres de cette collection soient présentées dans le cadre d’expositions montrées à la fondation, celle-ci n’a pas pour vocation de devenir un écrin de la collection. Les trois dispositifs sont complémentaires. Leur dénominateur commun est de servir l’intérêt général en soutenant la création contemporaine dans toutes ses formes et toutes ses disciplines, en donnant accès à ces œuvres à un large public .

Fonds de dotation Famille Moulin.

 

Créé en 2013, le Fonds de dotation Famille Moulin accueille aujourd’hui quelque 200 œuvres rassemblées au début par Guillaume Houzé et sa grand-mère, Ginette Moulin. Aux côtés de la fondation, engagée dans une mission de production des œuvres et des idées, ce fonds de dotation n’a pas vocation à sanctuariser la création, mais au contraire à la faire vivre en démultipliant les occasions de partage et de rencontre autour des œuvres.

 

Vous soutenez donc, à côté de la mode, des jeunes créateurs dans d’autres secteurs ?

Absolument et cette transversalité nous définit. Nous sommes sensibles à la création contemporaine dans toutes ses expressions comme dans le spectacle vivant à travers le CND-Centre national de la danse, le Théâtre du Châtelet ou la Comédie de Clermont-Ferrand. Dans le cadre de notre collaboration avec la Villa Noailles, nous soutenons aussi le festival international, Design Parade, qui récompense de jeunes créateurs dans le domaine du design. Egalement membres de l’association D’Days, Designers’ Days, les Galeries Lafayette accueillent chaque année à Paris au mois d’avril, le lauréat du festival Design Parade, qui reçoit une carte blanche pour une exposition dans nos vitrines. Toujours dans cette discipline et à Bordeaux, nous sommes mécènes des jeudis du MADD, le cycle de conférences du musée des Arts décoratifs et du design.

 

Une partie prenante importante de vos magasins sont vos clients. Comment les associez-vous à votre mécénat?

Nous agissons dans l’intérêt général et nous pensons à tous les publics qui, grâce à notre soutien, peuvent découvrir des œuvres. Dans cette volonté de donner accès à la création, nos magasins sont un atout pour sensibiliser une large audience à cet engagement, qu’il s’agisse de nos clients ou de nos collaborateurs. Nos vitrines sont souvent notre meilleur média. Elles interpellent un public qui ne franchirait peut-être pas les portes d’un musée. A Metz, en 2015, le magasin s’est inscrit dans le parcours artistique qui prolongeait dans la ville la rétrospective de Tania Mouraud présentée au Centre Pompidou-Metz.  Les Galeries Lafayette ont produit une œuvre conçue par l’artiste pour une vitrine qui lui a été dédiée de juin à octobre, inscrivant son travail dans le regard quotidien des messins. A Toulouse, c’est Michel Blazy qui a interpelé les passants et clients des Galeries Lafayette des vitrines au 6ème étage du magasin. Mécènes des trente ans des Fracs, nous avons donné carte blanche à l’artiste pour investir les lieux dans un dialogue entre la collection du Frac Midi-Pyrénées et celle du fonds de dotation Famille Moulin. Nous tenons à développer ces initiatives qui prolongent l’action de notre mécénat et le partagent avec nos clients.

Ci-contre : Fontaines, Michel Blazy, 2013. Vitrines Galeries Lafayette Toulouse, 30 ans du FRAC. ©Galeries

 

Consacrez-vous une part de votre mécénat à des projets de collaborateurs ?

Il faut d’abord préciser que tous nos collaborateurs bénéficient des contreparties associées aux partenariats mis en place : laissez-passer, visites commentées, … Le mécénat de compétences est un enjeu pour les associer plus étroitement.  Engagé dans une démarche de développement responsable globale, nous espérons les mobiliser à nos côtés auprès de nos partenaires : Emmaüs Défi, Care, Simon de Cyrène ou l’Agence du Don en Nature …

 

 

Propos recueillis par Yves Le Goff

 

1 - En 1893, Théopile Bader et Alphonse Kahn, deux cousins alsaciens, s'associent et reprennent un commerce de Nouveautés. Le 15 janvier 1894, ils ouvrent le magasin Les Galeries Lafayette à l'angle de la rue La Fayette et de la rue de la Chaussée-d’Antin. En 1896, la société achète la totalité de l'immeuble du 1, rue La Fayette et, en 1903, les immeubles des 38, 40 et 42, boulevard Haussmann ainsi que le 15, rue de la Chaussée-d’Antin, installant le navire amiral sur le boulevard Haussmann.

 

Lafayette Anticipation-Fondation d’entreprise Galeries Lafayette

 

Cette fondation d'intérêt général, créée en octobre 2013, est destinée à soutenir les artistes contemporains dont les œuvres poussent à exercer librement son jugement et modifient durablement notre regard sur le monde et la création dans son ensemble.

Pour ancrer ce projet, il a été demandé à l’agence d’architecture dirigée par Rem Koolhaas de transformer un bâtiment de la rue du Plâtre, à Paris, en un lieu de production où créateurs de mode, designers, plasticiens et performeurs croiseront leurs pratiques et leurs idées avec celles du plus large public. Sur ce site d’expérimentation, conditions de travail et outils inédits permettront aux divers créateurs de développer des prototypes et de mettre en œuvre des projets novateurs. Il ouvrira à l’automne de cette année.

Florence Brachet Champsaur

 

Florence Brachet Champsaur est diplômée de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), de l’EM Lyon et de  l'Université de la mode-Lyon II. Doctorante à l'EHESS, ses recherches portent sur les grands magasins et l'histoire de la distribution dans le secteur de la mode et du luxe. Sa thèse a pour titre : Créer c’est avoir vu le premier. Les Galeries Lafayette et la mode. 1893-1969. Membre d’un groupe de recherche de l'IHTP-CNRS sur l'histoire de la mode et chercheuse en histoire des entreprises, elle a publié plusieurs articles ou participé  à des ouvrages collectifs.

Florence Brachet Champsaur a travaillé pendant huit années au sein de la maison de couture Givenchy (groupe LVMH) où elle a participé à la création et au développement du réseau de boutiques. Professeur consultant, elle a enseigné le marketing de la mode et de la distribution. Florence Brachet Champsaur a créé le département Patrimoine & Archives historiques du groupe Galeries Lafayette. Depuis 2010, elle est responsable du mécénat.

Photo : Florence Brachet-Champsaur aux Galeries Lafayette de Metz, investies par Tania Mouraud  2015. ©Galeries Lafayette

 

 

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