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L'avenir du mécénat : changer l'entreprise

Expertise

Jacques Berger, directeur de l'Action Tank Entreprise et Pauvreté
Le mécénat, s'il reste souvent une activité marginale dans l'entreprise a pourtant un pouvoir beaucoup plus puissant qu'il n'y paraît. Parce qu'il a été pendant longtemps la seule porte d'accès autorisée vers la société civile, il a pu véhiculer des remises en question salutaires sur la place et le rôle de l'entreprise dans la société. Aujourd'hui le dispositif peut être utilisé pour susciter les initiatives les plus innovantes. Entretien avec Jacques Berger, directeur de l'Action Tank Entreprise et Pauvreté.

Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre association ?

L’Action Tank a été conçu comme un laboratoire à ciel ouvert au sein duquel les entreprises peuvent se retrouver entre elles. Elles sont face à des problématiques communes sur lesquelles elles peuvent échanger et réfléchir. Nous sommes là pour les aider à imaginer des programmes et à trouver les bons partenaires. Ensuite nous les accompagnons dans les phases d’expérimentation, dans la capacité à tirer des enseignements sur ce qui marche ou pas, et nous leur apportons également un support académique avec les chercheurs d’HEC. Notre action est focalisée sur la France. Ce qui nous intéresse, c’est la lutte contre la pauvreté dans les pays riches. Notre méthode est fondée sur l’expérimentation ; nous élaborons des projets et programmes qui sont ensuite testés sur des territoires.

 

Quelle est la spécificité de votre structure dans le paysage philanthropique et de l'engagement social ?

Dans le cadre de la philanthropie et même de la venture philanthropy, les entreprises mettent des moyens au service
de structures pour les aider à mieux produire de l’impact social. L’objet de l’Action Tank est plutôt de modifier le comportement des entreprises. La philanthropie est un mécanisme qui existe et qui est utile, mais nous cherchons à apporter quelque chose de nouveau : mettre les enjeux des associations au coeur des préoccupations des entreprises pour que l’alliance de ces entreprises et de ces associations délivrent un nouveau type d’impact social. On intègre l’association au service d’un dispositif porté par une entreprise.

L’association est née de la rencontre en 2007 entre Emmanuel Faber, patron de Danone et Martin Hirsch. La volonté
d’Emmanuel Faber était de transposer la dynamique des projets soutenus par Danone à l’international, avec Mohamed Yunus, en France. Son objectif en tant que chef d’entreprise est de transformer en profondeur les grandes entreprises. L’état actuel du marché capitaliste soumis à des indicateurs essentiellement financiers est non pérenne. Nous sommes dans une phase intermédiaire et il faut préparer le capitalisme de 2025 et 2030 en revenant aux valeurs d’origine de l’entreprenariat qui ont été source de prospérité. Une façon de réorienter les objectifs des entreprises est de les impliquer dans la résolution de problématiques sociales, sur des mécaniques économiques pérennes et qui ne procèdent pas de la charité. Les entreprises peuvent, par la mobilisation de leurs savoir-faire et de leurs compétences, contribuer à résoudre des problématiques sociales que l’Etat ne peut pas résoudre seul. La motivation à agir pour l’entreprise s’appuie d’abord sur son intérêt propre ; nous ne sommes pas dans le cadre d’une réflexion purement éthique, plutôt un intérêt partagé et conscient avec le secteur de la société civile au sens large.

Les grandes entreprises souffrent d’une baisse de sens, il faut réinsuffler de l’engagement et explorer leurs capacités à se découvrir de nouvelles missions. De son côté, Martin Hirsch est parti du constat que les acteurs publics ont contribué dans un premier temps à faire diminuer drastiquement la pauvreté après la seconde guerre mondiale, mais aujourd’hui ils sont face à un mur et n’y parviennent plus. Il faut donc trouver de nouveaux outils et de nouvelles pratiques qui peuvent être issus des démarches proches de celles appliquées par les entreprises.

 

Comment se traduit le changement concrètement pour l'entreprise ?

Un exemple : nous travaillons sur la problématique de la nutrition avec Blédina. Nous avons identifié une phase critique qui est celle de la transition alimentaire chez l’enfant de 0 à 3 ans et sur laquelle nous avons décidé d’agir. Pendant cette phase, l’enfant a besoin d’une nourriture adaptée pour pouvoir se développer le mieux possible et éviter des complications de santé. Il y a donc un enjeu social et de santé, car la nourriture adaptée peut être très coûteuse. Nous avons donc mis en place un système qui cible à la fois l’accès aux produits adaptés pour les personnes en grande précarité et l’éducation nutritionnelle avec des professionnels. L’objectif est d’éviter des coûts forts liés à l’achat de produits industriels et d’encourager le fait maison. Dans ce projet, notre but était de demander à Blédina : « pourquoi existez-vous ? Quelle est votre raison d’être ? ». Nous souhaitions contribuer à élargir la vision de l’entreprise sur son rôle qui est aussi d’apporter la santé et des perspectives d’avenir amélioré à des gens qui en ont besoin.

L’entreprise implique ses collaborateurs par le biais du dispositif du mécénat mais elle investit également financièrement. Ce programme lui permet d’avoir d’autres types de discours et d’échanges avec les communautés de pédiatres et les acteurs de la santé dans les hôpitaux, et de pouvoir parler d’autres choses que des petits pots. Ça vaut donc aussi la peine de se battre pour améliorer la position de Blédina, si c’est pour mettre une partie de ses compétences au service d’une cause d’intérêt général ; voilà le message qui est aujourd’hui diffusé en interne chez Blédina.

 

Propos recueillis par Laure Chaudey

 

Article précédemment publié dans Mécènes, n°10, Juin 2015

 

 

 

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