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Gouvernance des associations : les financeurs y ont-ils leur place ?

Expertise

Sophie Faujour, EVPA France Country Representative
Le mécénat subit de nombreuses transformations dans le sens d’un accompagnement plus poussé et renforce les liens entre les mécènes et les porteurs de projets. Pour analyser ces transformations, Camille Marc pose trois questions à Sophie Faujour de EVPA France Country Representative.
 
 
1. La VP est une illustration de l´implication croissante des mécènes auprès des structures qu´ils soutiennent. Comment expliquez-vous cette évolution ?  

La Venture Philanthropy (VP) est un outil parmi l’ensemble de la boite à outils d’investissement social et philanthropique. Dans un certain nombre de situations (la VP ne s’applique pas à tous les secteurs/projets philanthropiques), elle permet d’agir plus efficacement auprès des associations en facilitant le changement d’échelle de modèles qui ont fait leurs preuves.

En effet, elle combine l’âme du mécénat à l’état d’esprit de l’investisseur. Cela signifie que le mécène va soutenir le projet philanthropique en concentrant ses efforts sur l’ensemble de l’organisation (« capacité building »), pas seulement sur un type de programme.

En recourant à ces pratiques, les mécènes vont rechercher une création de valeur sociétale et vont se donner les moyens de la mesurer. 

De fait, le mécène va avoir une implication forte dans les projets du bénéficiaire dans un état d’esprit de partenaire, de partage de nouvelles perspectives et d’alignement des intérêts.  D’une certaine façon, le mécène devient aussi porteur du projet en s’impliquant personnellement (mise à disposition de son réseau personnel) sur le moyen / long terme (plutôt 5 à 7 ans). 

Le recours de plus en plus fréquent à la VP s’explique par le souci d’efficacité recherché par les mécènes qui sont de plus en plus sollicités dans un contexte où les défis sociaux donc les besoins sont de plus importants. 

Cette pratique, apparue dans les années 1990 aux Etats-Unis, s’est développée dans les années 2000 au Royaume-Uni puis en Europe Continentale suite à la crise. Elle a connu une accélération en Europe avec la crise de 2008 rendant l’accès aux financements particulièrement difficile pour le secteur associatif.

Beaucoup de fondations pratiquent, parfois sans le savoir, cette approche !

 

2. La participation à la gouvernance du porteur de projet est souvent une question délicate et de nombreux mécènes s´y refusent pour ne pas tomber dans l´ingérence. Comprenez-vous ces réticences ? 

Oui bien sûr, on devine naturellement un conflit d’intérêt potentiel et une réticence du mécène à être juge et parti.

En même temps, la « beauté » pour ne pas dire la puissance de l’approche VP dans la conduite de projets philanthropiques repose justement sur cette relation unique de partenariat, de confiance sur le long terme entre le mécène/l'investisseur et le porteur de projet.

L’équipe de Direction et le Conseil d’Administration vont s’aligner sur un certain nombre de paramètres comme la stratégie des investissements, les objectifs en termes d’impact social et les étapes de la mise en place de cette mesure d’impact sociétal afin de l’optimiser.

Rappelons en effet que les intérêts du porteur de projet et du mécène/investisseur doivent être stratégiquement alignés pour maximiser les chances de succès. Un Conseil d’Administration composé de dirigeants expérimentés à profil variés (venant du secteur associatif, du privé ou public) peut apporter beaucoup de valeur dans les discussions lorsqu’il s’agit de prendre des orientations ou décisions importantes pour le développement des projets. Il peut ainsi valablement compléter l’analyse faite par l’équipe de Direction.

De plus, quand le mécène soutient financièrement un projet par le biais d’une participation au capital, le plus souvent il siège au Conseil d’Administration, ce qui lui donne l’opportunité de suivre l'avancée des différents projets et de contribuer non financièrement en apportant conseils et expertises spécifiques en fonction des besoins.

Encore une fois, dans un esprit constructif de partenariat, son soutien stratégique est une vraie valeur ajoutée pour le porteur de projets. Il permet aux différentes parties prenantes (porteur de projet, actionnaires, financeurs, salariés, bénéficiaires) d’aligner les objectifs : efficacité de l’action de mécénat, impact renforcé pour le porteur de projet et amélioration au niveau du bénéficiaire final. Tout le monde y gagne !

 

3. Quelles sont les pièges à éviter et les bonnes pratiques pour participer à la gouvernance d'une structure de porteur de projet ? 

Nous identifions 3 grands types de risques autour des raisons conduisant à l’échec de projets philanthropiques : le risque organisationnel (lié au modèle de financement, aux questions autour des Ressources Humaines, à la gouvernance du porteur de projet), le risque stratégique (lié à la mise en place de la stratégie d’investissement) et le risque d'exécution.

Le sujet de la gouvernance est donc central et représente un des facteurs clés de succès de la réussite des projets. 

Dans ce contexte, les pièges à éviter sont que chacun travaille dans son coin ; l’équipe dirigeante d’un côté, les membres du Conseil d’Administration de l’autre sans compréhension mutuelle des objectifs.

C'est aussi que l’équipe porteuse du projet ne soit pas suffisamment entourée avec les expertises/compétences nécessaires. 

Les bonnes pratiques recommandées par l’EVPA consistent à bien répartir les rôles entre :

- une Equipe dirigeante avec un pouvoir fort qui sait prendre les décisions importantes (le Conseil d‘administration n’est pas là pour se substituer à cette équipe) 

- un Conseil d’administration avec des dirigeants expérimentés à profils variés connaissant (provenant de secteur associatif et / ou public, privé en fonction de la nature des projets développés). Ce mix d’expérience permet d’apporter toute la richesse et l’éclairage nécessaires aux différentes orientations des projets.

- la mise en place d’un Comité d’investissement qui va compléter le rôle de l'Equipe dirigeante, du Conseil d’Administration sur les décisions d’investissement. Là aussi, ce comité se compose idéalement de profils variés incluant quelques membres du Conseil, d’experts bénéficiant d’un réseau dans leur domaine, connaissant bien la culture et le monde des entrepreneurs.

Finalement, l’idée est de trouver un alignement entre ces structures de gouvernance, en particulier autour de la mise en place d’indicateurs mesurables (KPIs, projections) pour évaluer les projets qui marchent ou qui ne marchent pas en toute transparence.

 

En résumé, les maitres mots autour d’une gouvernance réussie sont partenariats, confiance, diversité, collaboration, transparence, respect mutuel, écoute, flexibilité, adaptabilité, patience et le droit à l’erreur !

Le passage d’une approche philanthropique classique à la VP peut représenter un changement culturel important pour les équipes en charge des projets, il est nécessaire de donner du temps au temps !

 

Propos recueillis par Camille Marc

 

>> Retrouvez l’intégralité de l’article de Camille Marc « Relation partenariale : quelle place pour le mécène ? »

>> Sur le même thème, retrouvez l’article de Léo Gaudin : Compatibilité entre impact social et intérêt business : Zoom sur la Venture Philanthropy

 

Pour en savoir plus:

Sur ce sujet des Best Practices, l’EVPA a publié en 2014, une Etude 'Learning from failures in Venture Philanthropy and Social Investment’ (https://evpa.eu.com/knowledge-centre/publications/learning-from-failures-in-venture-philanthropy-and-social-investment-a-practical-guide) notamment sur ces sujets de gouvernance. Plus de 25 praticiens mécènes/investisseurs européens interrogés.

 

 Créée en 2004, l’EVPA est une association qui promeut la Venture Philanthropy en Europe. Elle réunit des individus ou organisations qui pratiquent la VP ou s’y intéressent : des fonds de VP, des fondations octroyant des aides, des sociétés de capital investissement et des sociétés de services spécialisées en VP.

 

 

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