Le mécénat pourra-t-il un jour être traité avec équité par les medias ?

Tribune de François Debiesse, Président délégué d’Admical

Dans son édition du 3 janvier, le journal Le Monde consacrait une pleine page à quatre affaires isolées ayant agité l’univers du mécénat ses 25 dernières années, tandis qu’il passait sous silence la riche actualité du mécénat. François Debiesse, président délégué d’Admical, réagit en s’insurgeant contre la tendance des medias à donner plus de poids aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes. Le mécénat, estime-t-il, est malmené par la presse, ce qui contribue à freiner son développement.

Consacrer une page entière au mécénat dans le journal Le Monde, pendant la période des fêtes où la moitié des Français sont en train de choisir les associations auxquelles ils vont faire des dons, voilà une idée réjouissante. Evoquera-t-on les 6 milliards d’euros donnés chaque année qui deviennent de plus en plus cruciaux pour les acteurs de l’intérêt général, souvent amputés de financements publics ? Pas assez d’actualité, apparemment. Parlera-t-on alors des résultats surprenants de la dernière étude sur le mécénat des particuliers, parue il y a quelques jours, qui dévoile que 73 % des entrepreneurs sont mécènes à titre personnel ? Pas assez croustillant, certainement, puisque Le Monde n’y consacre que quelques lignes sur son site internet. Les auteurs de l’article ont préféré exhumer 4 faits divers isolés, déjà connus, concernant des mécènes étrangers ayant fait des dons en France et ayant ensuite été reconnus coupables de transactions illégales. L’affaire la plus récente date de six mois, les suivantes de 2011, 2004, et enfin la quatrième de… 1988.

Oui, il existe et il existera des dérapages dans le mécénat : nous devons tout faire pour qu’ils soient évités, et les médias jouent un rôle essentiel en les dénonçant. C’est notamment pour éviter les dérives qu’a vu le jour le mois dernier, une Charte du mécénat, signée par plus de 250 acteurs du secteur. C’est aussi pour cela qu’Admical se tient aux côtés des professionnels du mécénat, afin de les guider dans une approche déontologique de leur métier. Ce que nous conseillons aujourd’hui aux établissements culturels français qui, il faut le rappeler et s’en réjouir, reçoivent des millions d’euros de la part de donateurs étrangers, c’est bien sûr de vérifier scrupuleusement que l’argent qu’ils reçoivent ne peut pas avoir des origines illégales, dans la mesure de leurs capacités. Mais n’oublions pas que les services mécénat des structures d’intérêt général ne sont pas des services de renseignements. Que mis à part quelques grands établissements parisiens, dans la plupart de ces structures, il n’y a pas d’équipe consacrée au mécénat, simplement une personne qui recherche des fonds, cumulant souvent cette fonction avec d’autres responsabilités.



« Ce que nous aimerions, c’est que la presse ait la même attitude vis-à-vis d’une bonne nouvelle que vis-à-vis d’une mauvaise. »

 

Ce que nous aimerions, à Admical, c’est que la presse ait la même attitude vis-à-vis d’une bonne nouvelle que vis-à-vis d’une mauvaise. Que les lecteurs et auditeurs des médias aient le droit de se réjouir autant que de déplorer. C’est ce qui nous a choqué dans l’attitude du journal Le Monde : le manque d’équité dans le traitement de l’information sur un sujet. Le choix de privilégier la mauvaise nouvelle, alors qu’elle n’est plus d’actualité. En décembre, les événements liés au mécénat ne manquaient pas. Un des plus grands mécènes Français, le couple Brémond, fêtait les dix ans de sa fondation reconnue d’utilité publique, la fondation Ensemble. Sommes-nous informés du fait que le président-fondateur du groupe Pierre&Vacances et son épouse ont consacré 20 millions d’euros à un développement humain durable, en soutenant, en 10 ans, plus de 200 projets dans plus de 30 pays?  Savons-nous que le couple Brémond est loin d’être un cas isolé ? Près de 300 000 entrepreneurs en France donnent de leur argent ou de leurs compétences, souvent les deux. Plus d’un millier de fondations ont été créées par des mécènes, entreprises comme particuliers. En décembre également, des entreprises mécènes publiaient une vidéo sur youtube pour inciter à s’engager dans un fonds de dotation contre l’homophobie. En décembre, enfin, le ministère de la Culture récompensait des citoyens ordinaires mécènes de la culture via le crowdfunding… Qu’on ne nous dise pas que ces informations ne pouvaient pas intéresser les lecteurs !

Souvent, le mécénat subit une double peine : non seulement il est victime de la chasse aux bonnes nouvelles, mais il est encore dénigré à coups de procès d’intentions : les mécènes, tout particulièrement les entreprises, ne chercheraient qu’à redorer leur blason. Est-ce à dire que le public a suffisamment peu de mémoire et d’esprit critique pour ne voir que la poudre aux yeux lancée par une éventuelle action de mécénat, lorsqu’une entreprise se comporte mal par ailleurs ? Fort heureusement, je ne le crois pas. Jamais une action de mécénat ne compensera une mauvaise action, et c’est tant mieux. Bien sûr, il y a des enjeux d’image. Une entreprise choisit de s’investir dans un domaine parce qu’elle estime que cela fait sens par rapport à ses valeurs, sa culture d’entreprise, son métier, son histoire. Le mécénat dit quelque chose sur son mécène. Mais s’il s’agissait de compenser une mauvaise image, comment expliquer, alors, que des entreprises respectueuses l’environnement, de leurs salariés et de la société  persistent néanmoins à être mécènes ? Nous n'en sommes plus là. A travers le mécénat, l'entreprise révèle son rôle dans l’évolution de la société en activant un vrai levier d’innovation sociale.

Quand le richissime philanthrope Bill Gates vient en France, aucun problème, il a sa place au journal télévisé. Nous avons des milliers de Bill Gates en France. Des chefs d’entreprises qui ne sont pas les plus riches du monde, mais qui, après avoir réussi professionnellement, consacrent leur fortune et la majorité de leur temps à des actions d’intérêt général. Avons-nous déjà entendu parler d’eux ? Quand aurons-nous le droit de nous réjouir d’être un pays généreux ? Lorsque les mécènes se seront découragés, fatigués des attaques contre le mécénat ?

Plus on parlera du mécénat, plus on relatera ses avancées autant qu’on lui cherche des poux, et plus il progressera. Les quelques journalistes qui ont déjà compris cela ne parlent pas assez fort. Et nous savons qu’il y en a. En particulier au journal Le Monde.

 

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