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Le mécénat peut-il constituer un abus de biens sociaux ?

Juridique

Le mécénat peut-il constituer un abus de biens sociaux ? Quelle analyse peut-on tirer, au regard des différentes jurisprudences, de l'articulation entre intérêt social de l'entreprise et intérêt général ?

La politique de mécénat n'est pas un long fleuve tranquille ; entre les enjeux stratégiques, les règles de droit et le principe de réalité, il faut apprendre à naviguer en haute mer et savoir appréhender les vents contraires. Le mécénat d'entreprise n'a rien d'une évidence, on ne le répètera jamais assez et sa force réside dans la volonté et la vision que l'entreprise veut donner à ses actions d'intérêt général. Différents courants de pensée coexistent autour de la notion de philanthropie et de mécénat portée par l'entreprise. Ces courants de pensée se traduisent ensuite dans le droit de façons différentes à travers le monde.

En France, il est un principe fortement ancré dans l'organisation de la société, celui de la séparation et de la spécialité légale. Ainsi la forme juridique d'une société étant toute entière vouée au profit, le dirigeant d'une société doit pouvoir prouver que chaque action est faite dans l'objectif de servir cet intérêt social. De son côté, une organisation sans but lucratif ne pourra partager se bénéfices et/ou sera exclusivement destinée à un but d'intérêt général. La gratuité de l'action attachée à l'action de mécénat est donc a priori difficilement conciliable avec le droit des affaires. C'est pourquoi le législateur a encadré et sécurisé sa pratique à travers différents textes pour l'encourager. La loi sur le mécénat et sa doctrine ont d'ailleurs instillé des échanges entre intérêt social et intérêt général dont la dernière loi ESS porte les fruits.

Toutefois, si les politiques publiques tendent à encourager une implication croissante de la sphère économique dans des actions d'intérêt général, il reste que l'entreprise, dans sa forme juridique, garde un but social qui interdit à son dirigeant, même animé des meilleures intentions, de réaliser des actes purement gratuits au nom de la société et au moyen de biens sociaux s'ils ne sont pas autorisés par des dispositions d'ordre légal. L'acte gratuit n'est donc pas interdit dans la mesure où il se révèle utile et/ou conforme en quelque manière que ce soit à la réalisation de l'objet social. Une jurisprudence récente rappelle les limites du désintéressement que peut poursuivre une entreprise dans le cadre de l'intérêt social.

 

Analyse de Xavier Delsol, avocat associé (cabinet DELSOL AVOCATS), co-responsable du département Associations et économie sociale.

Sur le plan fiscal, la notion de mécénat est assez claire, mais un arrêt récent montre que le risque pénal de requalification en abus de biens sociaux n'est pas exclu pour les dirigeants de l'entreprise. En effet, dans le cadre du mécénat, il peut certes exister une contrepartie pour l'entreprise, mais à condition qu'elle reste indirecte, à long terme et disproportionnée par rapport à l'investissement de cette dernière. Et l'abus de biens sociaux est quant à lui le fait, pour les dirigeants, "de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement". L'infraction se caractérise donc par le cumul des éléments suivants : un acte abusif commis, de mauvaise foi, à des fins personnelles.

Un rapport d'au moins un à quatre

Le caratère disproportionné de la dépense eu égard à la capacité financière de l'entreprise représente un premier indicateur d'atteinte à l'intérêt social, un aléa trop important des retombées prévisibles en termes d'image au jour de la dépense pouvant alors caractériser l'abus. Mais, sans qu'il existe de seuil officiel, on comprendrait mal comment une dépense dans la limite du plafond fiscalement autorisé par l'article 238bis du Code Général des Impôts relatif au mécénat ouvrant droit à une réduction d'impôt, pourrait en même temps être constitutif d'une infraction pénale.

Il importe toutefois de respecter une disproportion marquée entre la valeur économique de l'avantage attendu par l'entreprise d'une part (essentiellement en retombées publicitaires ou institutionnelles), et son financement apporté d'autre part, pour éviter une requalification en opération de parrainage. Il est ainsi généralement admis qu'un rapport d'au moins un à quatre permet de préserver le caractère de mécénat. Néanmoins l'opération ne doit pas être effectuée dans l'intérêt personnel du dirigeant, qui peut être direct ou indirect, et aussi bien matériel que moral, même si la société y trouve aussi son intérêt.

Une jurisprudence récente reconnaît ainsi "qu'est contraire à l'intérêt de la société qui exploite une surface commerciale la donation faite sans contrepartie à une association chargée d'effectuer des recherches historiques sur le nom de famille du dirigeant". L'infraction d'abus de biens sociaux était donc en l'espèce constituée dès lors que les recherches représentaient une finalité personnelle du dirigeant, sans intérêt pour la société elle-même.

La problématique réside donc essentiellement dans le choix du bénéficiaire, et sa confrontation à l'intérêt personnel du dirigeant, puisque la décision de soutenir une oeuvre, un artiste, peut être aussi dictée par des considérations ou des goûts personnels du dirigeant. Il est donc nécessaire d'insister sur l'impartialité du choix du bénéficiaire, en appliquant certains critères de vigilance :

  • des éléments objectifs de sélection (type d'action, ancrage local, taille de structure ...) sur la base d'une nomenclature préalable, et dans le cadre d'un appel à projets par exemple,
  • la transparence de la décision. Outre l'information des actionnaires et des institutions représentatives du personnel, l'assemblée générale, le conseil d'administration ou le conseil de surveillance peuvent être préalablement associés au choix. En ce sens, au sein des gouvernances très structurées de grandes entreprises, un comité spécial ayant compétence en matière de mécénat est parfois instauré, à l'instar des comités de rémunération,
  • l'externalisation des opérations de mécénat de l'entreprise peut aussi être envisagée dans une structure ad hoc, telle une fondation d'entreprise ou un fonds de dotation, ayant la charge de sélectionner, de manière indépendante, les bénéficiaires ou les projets financés par le mécéant de la société.

Xavier Delsol

La finalité personnelle est entendue largement par la jurisprudence, dans la mesure où l'intérêt du dirigeant peut être direct ou indirect, à travers l'avantage procuré à une structure tierce dans laquelle lui-même ou un proche a des intérêts, et être aussi bien matériel que moral. De plus, cette fin personnelle peut se cumuler avec l'intérêt pour la société, le fait que celle-ci retire également un avantage de l'opération n'étant pax exonératoire de responsabilité.
 
Article initialement publié dans Mécènes, n°8, décembre 2014.

 

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