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La raison d’être des entreprises : réaffirmer le rôle de l’entreprise dans la société

Expertise

Le 22 mai 2019, la loi PACTE a introduit les notions « d’entreprise à mission » dotée d’une « raison d’être ». Quelle est la portée de ces notions ? Comment remettent-elles en question le rôle des entreprises et de toutes ses parties prenantes dans notre société ? En quoi le pro bono, c’est-à-dire le fait de partager ses compétences en faveur de l’intérêt général, peut-il permettre, pour une entreprise, de mettre en pratique sa « raison d’être » ?

 

La raison d’être, qu’est-ce que c’est ?

La loi PACTE a créé un statut, celui d’entreprise à mission, avec un cadre juridique qui donne à une entreprise la possibilité d’inscrire dans ses statuts sa raison d’être, autrement dit les objectifs qu’elle se fixe pour répondre à un enjeu de société. Concrètement, la raison d’être se formule en quelques phrases communiquées au grand public.

Des décrets parus début janvier 2020 précisent que la réalisation de ces objectifs sera vérifiée par un organisme tiers indépendant, et que l’entreprise doit donc mettre en œuvre les moyens pour les atteindre.

 

La raison d’être, pourquoi ?

Lors d’une conférence intitulée « Qui travaillera demain ? » qui s’est déroulée il y a quelques semaines, le PDG de la Camif Matelson, Emery Jacquillat, déclarait que « demain, seules survivront les entreprises – et donc leurs emplois – qui sauront prouver leur utilité pour la société. »[1]

En ce sens, la formalisation de la raison d’être répond à beaucoup de problématiques qui touchent l’entreprise aujourd’hui (dérives de la financiarisation, perte de sens des salariés) mais aussi la société dans son ensemble (urgence climatique, augmentation des inégalités). La loi PACTE apporte tout simplement une réponse à la question du rôle de l’entreprise dans la société, sur lequel l’entreprise est de plus en plus interpellée.

Beaucoup y voient une avancée, non seulement sur le plan du droit mais également sur celui du vivre-ensemble. Nombre d’entreprises ont déjà publié leur raison d’être.

Cependant, le texte de loi n’étant pour le moment pas contraignant, certains observateurs pointent déjà le risque de faire de la raison d’être une simple mesure marketing. C’est ce qui ressort d’une étude de l’IFOP pour No Com, Tikehau Capital et l’ESSEC, dans laquelle 69% des salariés français considèrent que la raison d’être est avant tout une opération de communication.[2]

Des professeurs de l’Université Paris Dauphine craignent aussi que la raison d’être soit utilisée par des entreprises comme un simple moyen de se démarquer de leurs concurrents, affaiblissant du même coup toute la portée de cette notion.[3]

Pour éviter ces dérives, l’implication de toutes les parties prenantes de l’entreprise, ses dirigeants mais aussi ses salariés, est importante pour définir et faire vivre la raison d’être.

 

Raison d’être et pro bono

Les collaborateur.rice.s de l’entreprise, justement, peuvent eux aussi incarner la raison d’être de leur organisation grâce à leur engagement en faveur de l’intérêt général, comme le permet par exemple le pro bono.

Le mécénat de compétences et le bénévolat de compétences, qui permettent à un individu et à une structure à finalité sociale de se rencontrer pour que s’effectue un partage de compétences, sont des dispositifs accessibles aux salarié.e.s d’entreprises. Qu’il.elle.s s’engagent sur leur temps de travail (mécénat de compétences) ou sur leur temps libre (bénévolat de compétences), leur entreprise peut faciliter cet engagement de multiples façons : mise en lien avec des associations ou des entreprises sociales sur la base des compétences des salarié.e.s et des besoins des structures, organisation et animation de formats d’engagement, reconnaissance des salarié.e.s qui s’engagent… Le pro bono peut être un moyen de mettre en pratique la raison d’être en choisissant par exemple de soutenir des structures qui oeuvrent pour une cause à laquelle l’entreprise est attachée, ou tout simplement en partant du principe qu’en permettant à ses salarié.e.s de s’engager, l’entreprise a à cœur d’avoir un impact positif sur la société dans laquelle elle est intégrée.

Mécénat de compétences et bénévolat de compétences sont particulièrement plébiscités aujourd’hui par les jeunes générations d’actifs, qui non seulement apprécient de pouvoir s’engager dans le cadre de leur entreprise, mais qui, de plus en plus, choisissent leurs emplois en fonction des valeurs de l’entreprise, et de la manière dont elles répondent à des enjeux sociaux ou environnementaux. La raison d’être, qui permet aux entreprises de définir cette réponse, est de ce point de vue prometteuse.

 

Tatiana HEINZ

Responsable de la recherche et des partenariats internationaux, Pro Bono Lab



[1] Emery Jacquillat, « Etre utile à la société pour survivre » dans la série « Qui travaillera demain ? Les coopérateurs ou les compétiteurs ? », Le Monde, 6 février 2020 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/02/06/qui-travaillera-demai...

[2] « Raison d’être : quatre pièces à éviter dans sa formulation », Forbes : https://www.forbes.fr/mediasfrance/raison-detre-quatre-pieges-a-eviter-d...

[3] Albert David et Nathalie Gimenes, « La raison d’être de l’entreprise rebat les cartes du jeu concurrentiel », The Conversation, 23 mars 2019 : https://theconversation.com/la-raison-detre-de-lentreprise-rebat-les-car...

 

 

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